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nolente immobilité des pays chauds, tout cela me saisit à la fois au moment où j’entrais dans la cour, et me réconcilia tout d’un coup avec Séville. Après les premiers embarras de l’installation, je n’eus rien de plus pressé que de venir me joindre au petit cercle qui écoutait le chanteur ambulant. Ces jotas qui se succédaient sans se suivre me rappelaient les chants interminables des Grecs de l’Asie-Mineure, avec la vivacité andalouse de plus. Au reste, j’étais à peine assis au pied d’un oranger qu’un gros homme, coiffé d’un tout petit chapeau, entra dans le patio, vint droit à moi, s’annonça comme garçon de place, et de me demanda en bon français si ma seigneurie désirait visiter d’abord la cathédrale, ou l’Alcazar ou bien la manufacture des tabacs, ou le musée, ou la bibliothèque, ou la tête de Pierre-le-Cruel, etc., et, dans sa volubilité, il énumérait toutes les curiosités de Séville.

— Rien de tout cela, lui dis-je. J’ai vu partout des châteaux, des manufactures et des bibliothèques ; j’ai visité deux cents musées et cinq cents cathédrales. Comment vous nommez-vous ?

— Bailly. — Eh bien ! monsieur Bailly, je désire voir en premier lieu les danseuses de Séville. Je veux voir danser la cachucha, la jota la gitana, le fandango, la lole et le jaleo. Si vous pouvez me montrer ces choses, je suis votre homme ; sinon, non.

Bueno ! bueno ! s’écrièrent joyeusement les fumeurs de cigarettes qui m’entouraient, et sur-le-champ j’acquis dans l’hôtel une grande considération. En effet, c’est un plaisir de satrape que je commandais là, un des plaisirs les plus chers qu’on puisse se procurer en Espagne, où je ne sache pas qu’il y ait une seule chose à bon compte. En outre, c’est une galanterie, car on m’apprit que je ne pouvais voir des danseuses sans donner un bal, et qu’à ce bal je pouvais inviter qui bon me semblerait. Je compris que, dans ma précipitation, je m’étais enferré, mais j’étais trop avancé pour reculer, et je commençai par prier toutes les personnes présentes à cette fête improvisée. Les jeunes gens acceptèrent avec joie ; quelques jeunes femmes sourirent sans répondre, comme si elles n’osaient pas dire qu’elles mouraient d’envie d’en faire autant, et enfin deux duègnes, et notamment ma compagne de route, qui n’avait pas quitté son perroquet vert, déclarèrent en grommelant que c’était une abomination, que tous les Français étaient des mauvais sujets, qui venaient corrompre les mœurs en Espagne. Je fus très surpris de ces réflexions. Je ne me croyais pas capable d’importer à Séville des habitudes immorales ; l’Andalousie avait une réputation toute faite, et je ne le cachai point à la vieille. Qui donc avait inventé la cachucha ? Était-ce une danse nationale française ? Fallait-il venir à Séville pour voir danser des contredanses ? Je me fâchai et plantai là