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belle figure, et pourtant les belles figures sont assez rares à Madrid. On me pardonnera cette assertion peu galante, qui n’est pas contestée. Les mentons, à Madrid, se prolongent indéfiniment ; quelquefois aussi les lèvres sont épaisses, proéminentes, ou bien les yeux sont percés trop bas. À Séville, au contraire, les femmes sont en général grandes, souvent blondes, quelquefois très blanches et ordinairement trop maigres. Je ne sais rien de plus piquant que deux yeux andalous, noirs et dévorans, frangés de longs cils bruns, qui semblent tout dépaysés dans un de ces visages blancs et roses, et qui mêlent une sorte d’énergie arabe à la douceur germanique d’une physionomie de Sévillane. Aussi une belle Sévillane est-elle la plus belle des femmes ; mais la beauté parfaite est rare à Séville comme partout ailleurs. Les dames de Cadix sont au contraire petites, brunes, piquantes ; elles se distinguent par leur animation et leur vive allure. Les beautés de Valence, blanches avec des yeux bleus, un teint mat des contours plus arrondis, semblent indolentes comme des créoles. Il est donc, comme je le disais, difficile d’expliquer pourquoi l’on confond en un seul type la beauté espagnole qui varie dans chaque province, presque dans chaque ville. Il faut, je pense, attribuer cette confusion au costume qui est partout le même ou à peu près, et surtout à la mantille, qui donne à toutes les tournures espagnoles une grace exceptionnelle, une desinvoltura toute particulière. Il faut qu’une femme soit bien abominable pour qu’elle n’emprunte aucun charme à cette adorable coiffure, et croyez qu’une Française doit être mille fois jolie pour résister à la laideur de ce cornet de carton qu’elle pose sur sa tête et qu’on nomme un chapeau. J’ai souvent défendu les Parisiennes que je trouve, pour mon compte, les plus charmantes femmes d’Europe, et je suis bien aise d’émettre, à propos de Séville, l’opinion suivante : c’est que s’il arrivait que les élégantes de Paris empruntassent un soir aux Sévillanes leurs mantilles, leur prêtassent en échange leurs chapeaux empanachés, et que l’on réunît ensuite ces deux armées dans le jardin des Tuileries, la victoire serait au moins fort disputée. Si l’on tente jamais l’expérience, je réclame la priorité de l’idée et je demande à être juge du camp. Je veux aussi parler des pieds, bien que cela soit fort difficile ; car qu’est-ce qu’un joli pied ? Un Chinois vous répondra : C’est un pied rond, aussi pareil que possible au sabot d’un cheval, ou à un pied de console ; un Français au contraire, prétendra que c’est un pied étroit et cambré ; un Espagnol, que c’est un pied court, au risque même d’être un peu rond. Les Sévillanes ont en effet, à cet égard, le goût plus chinois que français et, tout en se moquant de tous les pieds européens sur lesquels les femmes, disent-elles, peuvent aisément dormir debout, elles ont soin de porter des chaussures tellement courtes, que leurs pieds, resserrés par le bout, s’élargissent et prennent la forme, si j’ose parler