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bel hôtel du West-End. Il en est de même à Gibraltar. Si c’est l’homme d’affaires que vous cherchez, vous le trouverez jusqu’à quatre heures dans la ville ; si c’est à l’homme lui-même que vous voulez parler c’est à la campagne, c’est-à-dire à Europa, qu’il vous recevra. Pour gagner cette prétendue campagne, improvisée dans une fente de rocher, on traverse la promenade, qui est certainement un échantillon fort surprenant de la patience anglaise, je ne sache pas qu’en aucun lieu du monde la fameuse maxime : Labor omnia vincit improbus, ait reçu une plus singulière confirmation. La nature avait établi là un rocher nu, perpendiculaire, brûlant, exposé à tous les vents du désert à tous les orages du ciel ; elle avait eu sa raison sans doute : les Anglais ont taillé le roc, ils l’ont creusé, ils sont allés chercher de la terre en Espagne, peut-être même en Angleterre, et de l’eau je ne sais où ; puis, de ce roc inculte, ils ont fait un jardin qui est, je crois, le plus joli et le plus riant de la Péninsule. Des arbres superbes, des aloës de la plus belle venue, des fleurs de toutes les espèces, de tous les climats, de toutes les couleurs, des kiosques charmans, apparaissent à vos regards surpris. Le tout, à vrai dire, est enserré dans une cuirasse de granit, et ce jardin, rempli de canons, rappelle fort les parterres que les soldats, aux heures de repos, cultivent autour de leurs tentes dans les camps ; mais cette promenade n’en est pas moins un des plus étonnans défis que l’homme ait jamais portés à la nature. Sur un tertre fleuri s’élève une statue de lord Elliot, qui défendit Gibraltar contre M. le comte d’Artois. Lord Elliot tient dans ses mains une grande clé d’or rivée à son bras par une chaîne. C’est la clé de la Méditerranée. Cette statue est détestable : elle semble dire que, si les Anglais ont subjugué la nature, l’art, à son tour, les a vaincus, et qu’il est un autre génie que la patience. La patience est pourtant une belle chose. Même après avoir vu Gibraltar, on a peine à s’imaginer comment les Anglais ont pu faire des jardins fertiles dans tous les trous de cette falaise perpendiculaire et creuser autour de ce mamelon des routes fort belles, très douces, où l’on se promène à cheval, en calèche, où l’on finira par chasser le renard comme dans les prairies du Royaume-Uni.

J’ai fait à cheval l’ascension de la montagne et visité à pied toutes les grottes. L’ancienne caverne, celle de Saint-Michel, est sans contredit la plus belle et la plus facile à voir. Que vous en dirai-je, sinon que c’est une grotte fort grande, dont la voûte est ornée, en guise de pendentifs, de superbes stalactites et dont les parois sont couvertes de dates et de signatures ? Je n’ai jamais regardé sans un profond sentiment de tristesse les murs où les badauds de tous les temps ont cru devoir graver leurs noms inconnus. Les dates qui les accompagnent m’attristent et m’étonnent. Auprès de signatures au crayon, en apparence