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tre. Tout à coup une batterie anglaise s’illumina, et le garde-côtes reçut un boulet. À terre, on s’était trompé ; on avait pris pour un arrimage une conversation pacifique, et les Anglais, croyant venger ou défendre le contrebandier, étaient brutalement intervenus dans l’entretien. D’autre fois, la douane espagnole retenait avec grand éclat, sous prétexte de les saisir, les marchandises d’un bâtiment, et plus tard se chargeait de les faire entrer secrètement ; ou bien, après avoir reçu provisoirement des cargaisons dans l’entrepôt de Malaga, elle éventrait les ballots, faisait franchir en détail aux marchandises la ligne douanière, après quoi les ballots étaient bourrés de foin, soigneusement recousus ; le bâtiment venait les reprendre, les jetait à la mer et retournait à Gibraltar faire un nouveau chargement ; de la sorte, les registres étaient en règle et cet honnête commerce prospérait. Enfin lorsque ni la protection anglaise, ni la complaisance des carabiniers, ni l’intervention de la douane ne pouvaient suffire à l’écoulement des produits britanniques, les négocians de Gibraltar avaient recours, comme moyens suprêmes, aux pronunciamientos. Voici comment les choses se passaient alors. Les négocians écrivaient à leurs correspondans de Malaga, par exemple. Ils leur disaient que les magasins étaient pleins, les navires chargés, mais que la surveillance était extrême, ou le chef des carabiniers trop exigeant, et qu’ils eussent à faire un pronunciamiento. La chose était aisée. Sur les deux cent mille habitans de la côte de l’Andalousie, quatre-vingt mille au moins vivaient de la contrebande. Aussitôt prévenus, des meneurs excitaient les esprits, soulevaient, au nom de n’importe quel mécontentement politique qui leur servait de stimulant et de prétexte, cette troupe de coquins désœuvrés qui, toujours et en tout pays, se tient prête au désordre. Au jour fixé, dès que le navire chargé de la contrebande était signalé, on lâchait les rênes à cette tourbe soudoyée ; le pronunciamiento, c’est-à-dire l’émeute, éclatait ; la ville se remplissait de rumeurs, on ajoutait quelques coups de fusil à la mise en scène ; l’ayuntamiento prononçait aussitôt la dissolution de la garde civique, remettait l’autorité aux citoyens ; au plus fort de l’agitation, le navire entrait dans le port et débarquait sa cargaison. De la sorte, il y avait, comme on le voit, un moyen très sûr de prédire les émeutes qui éclataient si souvent sur la côte d’Espagne. Il suffisait d’examiner les magasins de Gibraltar ; s’ils étaient vides, les émeutes n’étaient point probables, elles eussent été sans but ; au contraire, s’ils regorgeaient de marchandises, comme il leur fallait absolument un débouché, on devait s’attendre à des pronunciamientos. Il est vrai de dire que les passions politiques envenimaient quelquefois ces désordres, dont l’origine était purement commerciale ; l’insurrection une fois déchaînée dépassait le but de ses instigateurs. Barcelone a fourni un mémorable exemple de ces émeutes qui s’accroissent en se précipitant. Malheureusement nous n’avons pas le droit de rire de