Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de n’en atteindre qu’une partie. Il frappait les créanciers hypothécaires, mais il exemptait les créanciers chirographaires, les créanciers de l’état et les porteurs d’actions industrielles. L’impôt ne saisissait même pas les contribuables auxquels on avait la prétention de s’adresser, car on avait beau décréter qu’il serait payé par le créancier, l’argent étant alors beaucoup plus demandé qu’il n’était offert, la taxe devait retomber sur le débiteur de tout son poids. Le décret paraissait donc tout ensemble partial et illusoire. Il alarmait la richesse mobilière et aggravait la condition de la richesse immobilière, effrayait le prêteur et ruinait l’emprunteur. Le seul effet général qu’il pût produire était, comme M. de Corcelles l’a fait remarquer, l’élévation du taux de l’argent, qui s’étend d’un ordre d’intérêts à tous les autres, et dont l’état devait souffrir à son tour après les contribuables.

Ces considérations, qui avaient déterminé le comité des finances à rejeter le projet de M. Gouchaux et à proposer l’abrogation pure et simple des décrets du 20 au 26 avril, prévalurent devant l’assemblée constituante contre l’insistance désespérée du gouvernement. Le principe de l’impôt sur les créances hypothécaires fut définitivement repoussé à une majorité absolue de 19 voix.

La taxe décrétée par le gouvernement provisoire avait toutefois un caractère que n’ont pas conservé depuis, et cela est à regretter, tous les projets d’impôt qui ont prétendu s’adresser à la richesse mobilière. Elle faisait contribuer la chose et non la personne ; elle est directe et réelle et reposait sur une créance inscrite, comme la contribution foncière repose sur un champ ou sur une maison ; mais elle n’était pas personnelle, c’est-à-dire qu’elle ne reportait pas la charge sur le contribuable lui-même, à raison de ses facultés présumées. Sous ce rapport, il faut l’avouer, le gouvernement provisoire avait mieux fait et avait moins osé que les ministres des finances qui lui ont succédé, même depuis le 10 décembre.

Toute la taxe qui n’a pas un caractère oppressif qui est un impôt mis sur le revenu. Sous une forme ou sous une autre, par la voie de contributions directes ou par celle des impôts de consommation, c’est le produit du capital qui paie tribut à l’état, ce n’est pas le capital même. Mais peut-on prendre le revenu pour ainsi dire à parti ? Est-il possible de taxer chaque citoyen, pour le revenu qu’on lui suppose, sans établir une véritable capitation, c’est-à-dire de toutes les formes d’impôt la plus vexatoire, la plus odieuse, celle qui a le plus souvent attiré sur la tête des gouvernemens la colère ou l’indifférence plus fatale encore des peuples ? Dans l’impôt sur le revenu, la capitation affecterait, il est vrai, de se proportionner à la fortune de chaque contribuable ; il y aurait peut-être oppression, il n’y aurait pas d’injustice. Toutefois la taxe serait encore attachée à la personne et la suivrait, au