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de Shakspeare. Ce sont les doctrinaires shakspeariens qui se sont agités pour remettre en crédit le drame légitime. Ce sont eux (une partie d’entre eux du moins) qui ont fait nombre autour de M. Macready. Tous, il est vrai, n’ont pas eu les mêmes visées. Les uns ont plus spécialement admiré l’ancien répertoire au point de vue de ses qualités scéniques, et ils lui ont surtout demandé le secret des puissantes combinaisons qui entraînent le public d’un théâtre. Les autres, avec un tempérament plus contemplatif se sont surtout épris de la fantaisie et des prestiges pittoresques de la vieille poésie. Ils l’ont sentie en hommes qui avaient plutôt des sensualités d’esprit que de passions, et ils se sont efforcés d’exceller comme elle dans le talent d’enivrer l’imagination.

Au premier abord, on pourrait penser qu’il n’existe aucun lien de parenté entre ces deux écoles ; elles-mêmes le croient certainement, et de l’une à l’autre il y a eu plus d’une escarmouche de préfaces. Un des plus remarquables écrivains du camp de l’imagination, M. Horne, a même lancé un volume de critiques (le Nouvel Esprit du siècle), où il accuse indirectement le drame réaliste de conspirer avec M. Macready pour exclure le grand art de la scène. Malgré ces dissensions toutefois, il n’est pas difficile de reconnaître des deux côtés le même souci des chefs-d’œuvre du passé, la même disposition à en déduire la règle du beau. « Idéalistes et réalistes » ont je ne sais quoi de mort et qui sent l’homme de lettres. Le ton général de leur esprit est tout moderne, cela est certain ; chez les premiers surtout, on rencontre à chaque instant des pensées et des sentimens qui sortent bien du fond de la société anglaise, qui sont bien ce que l’on ne peut sentir et penser que là, avec ses habitudes de patiente analyse ; mais à chaque instant aussi, se montrent la recherche des manières de dire, le désir de rivaliser avec des beautés aimées, et l’on s »aperçoit vite que cette poésie n’est pas l’œuvre des hommes entraînés par le grand courant du jour.

Est-ce bien là un renouvellement, un printemps qui promette un brillant été ? Je ne puis le penser. Ce culte pour l’époque d’Elisabeth a coïncidé avec les prétentions moyen-âge de la peinture allemande, avec le pseudo-catholicisme des puseyistes, avec l’école historique de Savigny. Dans tous ces retours en arrière, je ne saurais m’empêcher de voir de simples accidens, des modes passagères : l’indication que les esprits étaient mécontens de ce qui existait et qu’ils n’avaient pas encore été capables de créer ce qu’il leur fallait. Les aspirations qui se méprennent ainsi sur elles-mêmes ne sont pas rares au lendemain des révolutions.

Si général et si prédominant qu’ait été cet archaïsme, ce serait cependant une erreur et une injustice de croire que son histoire est celle de toute la poésie dramatique de l’Angleterre durant ces dernières années. À côté des parterres de fleurs artificielles et des jardins en serre chaude, il a poussé plus d’une plante vivace, énergiquement nourrie des sucs de la féconde nourrice, l’alma parens rerum. Je ne parlerai pas des habiles, de ceux qui ont écrit surtout en vue du succès, et qui l’ont obtenu. C’est d’une source plus pure que sortent les œuvres capables de dicter la loi à une époque. Pour avoir chance de les rencontrer, il faut se tourner vers les hommes fortement dominés par leur personnalité, vers ceux qui, si grande que puisse être leur soif de popularité, ont en outre une sorte de tyrannie intérieure qui les contraint à ne chercher