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que n’ont point les élucubrations de la logique, et que la nature seule peut faire. Ce quelque chose, c’est la personnalité de M. Talfourd, c’est une sorte de recueillement et d’aspiration vers la beauté morale. Le repos est partout. À lire Ion, il semble que l’en respire un bon air, et l’on éprouve quelque chose d’analogue au plaisir que cause la pensée d’une noble action. Tout le caractère du jeune héros est d’une pureté transparente qui attire. On aime à entendre Clémanthe s’écrier, tout en proie à ses inquiétudes :

« C’est près d’Adraste qu’il court. Si le tyran réprouvé périssait par sa main, un noir souvenir pèserait comme un nuage sur son ame délicate, et flétrirait de son ombre le monde de ses riantes pensées. Me rendrai-je au palais ? Parlerai-je… en réclamant sa vie pour prix de mes révélations ? Non, ce n’est jamais le rôle d’une femme que de se laisser entraîner par les pressentimens de sa tendresse à contrarier la fortune de l’homme auquel elle s’attache. Son rôle à elle, c’est d’entrelacer dans la trame de l’existence aimée tout ce qu’elle a de joie à donner. Mon pauvre cœur a trouvé son refuge dans l’amour d’un héros ; son devoir est de se contenir et d’avoir confiance jusqu’à ce qu’il se ranime ou se brise avec le sien. »

Ai-je besoin de le dire toutefois ? une telle amante est bien moderne, bien anglaise ; et l’on est également fort loin d’Athènes quand le jeune desservant répond à ses prières :

« Le ciel m’a appelé, et mon honneur est engagé. Quand ton cœur s’est donné à un pauvre enfant sans amis, tu n’as pas cru aimer en lui un être avili. Il ne doit pas s’avilir, maintenant que ton choix l’a couronné. Tu m’as accordé le droit de réclamer ton appui durant notre voyage à deux, qu’il doive se prolonger jusqu’à la vieillesse ou finir dans une heure, et maintenant je te le demande. C’est à toi de m’encourager et de m’envoyer à mon œuvre, fort de ta libre approbation. — Va, répond Clémanthe, je ne voudrais pas te voir autre que tu es, vivant ou mort. Et si tu devais succomber, je trouverais encore plus de bonheur à être la fiancée de tes froides cendres qu’à briller au milieu des plus magnifiques honneurs : à toi, toujours à toi. »

Ion est le type de la fermeté inébranlable dans la douceur et la conviction ; c’est le sublime de la pureté morale, qui puise sa force dans la bonté et la réflexion, qui sent vivement la vie et ses joies, et qui pourtant est prête à les sacrifier à l’appel du devoir. » Rien de moins antique que cet idéal : l’idéal grec, c’était Achille le fougueux ou Ulysse le rusé. Ce que je dis d’Ion et de Clémanthe, je pourrais le dire d’Adraste et de ses retours attendris vers une époque où il était innocent, où il aimait une femme que son père a fait tuer, où il avait un enfant et des joies dont la perte a fermé à jamais son cœur. Si de tels êtres eussent existé à Athènes, la Grèce, au lieu d’avoir ses idées, sa religion et ses mœurs, eût eu le gouvernement représentatif et la morale de l’Angleterre.

M. Talfourd lui-même a senti tout le désaccord qu’il y avait entre l’ame de ses personnages et leur rôle. « Je ne me le dissimule pas, dit-il dans sa préface, Il est impossible d’obtenir un effet vraisemblable, à moins d’envelopper des Grecs d’une atmosphère de sentimens grecs, de manière à donner une nationalité homogène à toutes les parties du tableau… Produire un tel ensemble était