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solennelle ; c’est encore ce beau langage qui s’applique à éviter la précision, à déguiser ce qu’il veut dire sous des ornemens qui ne servent pas à peindre des nuances pittoresques senties par le poète, et qui sont seulement un usage et un bon ton. L’auteur d’Ion a réussi. La littérature tendue et peut-être l’activité surexcitée de notre époque avait fait sentir le besoin d’un art plus calme : M. Talfourd est venu à son heure, et, grace au charme de ses abstractions, il a plu à peu près comme plaisent ces statues funéraires du moyen-âge, dont la raideur ne traduit que plus énergiquement l’immobilité qui nous frappe dans la mort ; mais, s’il a su être poète malgré le moule où il a versé sa poésie, je ne puis croire que sa tentative ait aucune chance de faire école. Un tel idéalisme a trop peu de chose à apprendre à la raison. Ce n’est pas lui qui peut assouvir surtout l’éternel, esprit d’induction de cette race anglo-saxonne, qui ne se construit jamais un idéal pour s’y arrêter qui va toujours de l’avant, et qui incessamment emploie toutes ses facultés à observer et à se rendre compte de ses observations. D’ailleurs, le beau à la grecque n’a jamais réussi à se naturaliser chez les Germains. Il semble que les grandes lignes du Parthénon ou la majestueuse unité des tragédies athéniennes soient trop vite épuisées pour leur activité curieuse. En poésie comme en architecture, ils ont toujours recherché a complexité ; ils la voient dans la vie ; ils ont besoin de la retrouver dans ses images.

Comme M. Talfourd, M. Marston est un écrivain heureux, dont la première bataille a été une brillante victoire ; comme lui aussi, il a été deviné par M. Macready, qui s’est chargé de lui servir de parrain devant le public. Depuis lors, chacune de ses pièces a fait sensation. La presse n’a cessé de parler de lui comme d’un talent sérieux, et à l’heure qu’il est, maintenant que M. Knowles est une gloire de la veille, on peut le regarder comme le principal champion du drame représenté. Je fais cette distinction, parce qu’en Angleterre il s’écrit bon nombre de drames de cabinet. Dans un certain monde même, on tient à honneur d’être injouable, du moins par le temps qui court. La Fille du Patricien, le coup d’essai de M. Marston, est l’histoire d’un poète d’humble naissance qui s’éprend d’une jeune patricienne, la, fille du comte de Lynterne, et qui, après avoir été orgueilleusement éconduit par le comte, s’en venge en devenant, à force de talent, un des plus grands orateurs du parlement, et en dédaignant a son tour l’alliance du grand seigneur, qu’il a amené à lui offrir sa fille. Plus tard, Mordaunt (ainsi se nomme le poète) découvre que lady Mabel n’avait point été complice de l’affront qui lui a été fait, et quand le comte, pour sauver sa fille mourante, s’abaisse jusqu’à la lui offrir de nouveau, lady Mabel n’a que le temps de lui pardonner.

Si entraînante que fût l’œuvre du jeune poète, le fond, ont le voit, en était assez naïf : c’était simplement la glorification du génie comme on le conçoit à dix-huit ans, c’est-à-dire du génie qui, par cela seul qu’il rêve des vers, est propre à tout, et qu’un monde aveugle écrase de ses dédains. Rapprochés de la Fille du Patricien, les deux autres drames de M. Marston nous le montrent en progrès marqué, mais toujours dans son sentier. Nul talent n’a moins hésité que lui. Dès les premiers jours, il avait deviné sa vocation. Le Coeur et le Monde, tel est le titre de sa seconde pièce ; la première eût pu être appelée le Génie et l’Orgueil nobiliaire. Dans Strathmore, qui vient d’être récemment joué, nous