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« STRATHMORE. — Vous ai-je bien entendue ? Trahir les devoirs de ma charge…

« KATHARINE. — Où sceller ton désespoir ?

« STRATHMORE. — Mon désespoir, cela est possible, mais non ma honte. Pourquoi m’avez-vous dit cela ?… »

En vain Katharine s’efforce-t-elle de le retenir, Strathmore veut sortir. Il ne doit pas trahir ses compagnons, il faut qu’il les mette à l’abri d’une surprise.

« KATHARINE. — Vous ne passerez pas !

« STRATHMORE. — Il le faut !

« KATHARINE. — Mes bras sont faibles, ils ne peuvent t’arrêter. – Pourras-tu franchir ces yeux qui ont réfléchi ton amour ? S’ils ont perdu leur éclat, c’est que tu étais leur vie et que tu les as abandonnés. Le moindre présent que j’ai reçu de toi, ils l’ont baigné de plus de larmes qu’il n’en tombait du ciel sur les fleurs que tu me cueillais ; ils ont mouillé tous les mots d’amour que tu m’avais écrits, oui, toi ! et pourtant ils souriaient de ce que chacun d’eux était empreint dans mon cœur, où je te rebaptisais quand les hommes flétrissaient ton nom.

« STRATHMORE. — Il faut que je sorte !

« KATHARINE. — Si tu le peux, sors donc ! Vois, la nature en toi se révolte. Tes pieds sont fixés à la terre, ton visage est de pierre. De ces murailles effrayées jaillit un cri qui perce la voûte du temps, et le passé sort de sa tombe. Ici même, aux côtés du vieillard, tes pieds d’enfant se sont essayés ; près de ce foyer, il te tenait sur ses genoux, badinant de la main avec tes cheveux, la tête inclinée pour écouter tes bégaiemens. Là, près de cette chaise, nous nous sommes agenouillés pour nous fiancer devant lui, tandis que sa voix, une voix de soldat, affaiblie par trop de tendresse, balbutiait sa bénédiction. Allons, de l’audace, accomplis ton œuvre. Debout donc devant le foyer de mon père ! et là, là où il nous a bénis, prononce son arrêt de mort ! (Elle le traîne devant le foyer.)

« STRATHMORE. — Moi ! moi ! (il s’évanouit.) »


M. Marston est là tout entier. Il. ne songe à imiter ni les Grecs ni Shakspeare. Ce qui domine en lui, c’est le sentiment de la passion. Il écrit d’abondance, il est puissant parfois, toujours il intéresse et entraîne ; mais, il faut bien le dire, sa verve tient beaucoup de cette verve juvénile qui saisit soudain parce qu’elle est seulement l’écho de ce que l’on sent à première vue, des impressions que l’on reçoit sans se préoccuper d’étudier de près les choses de la vie. La jeunesse, du reste, se trahit partout chez M. Marston. L’existence, pour lui, est toute entière dans la lutte, dans ce qui séduit l’esprit aventureux et avide d’émotion. Son idéal est celui des peuples jeunes et des natures jeunes : ce n’est point la sagesse qui cherche à concilier entre elles toutes les facultés de notre être, c’est le sacrifice, l’énergie qui brave l’impossible et qui se plaît à dompter la nature, à lui imposer malgré elle la loi d’un généreux orgueil. Si le propre de M. Talfourd est d’être guindé comme un rhéteur, celui de M. Marston serait de manquer de modération, d’être exagéré comme les fougueux jugemens de la vingtième année. Ce n’est point sans motifs que je rapproche ainsi ces deux écrivains ; entre eux, il y a plus d’une analogie. L’un et l’autre recherchent la simplicité et l’unité dans la disposition de leurs œuvres. Chacune de leurs