Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/863

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je ne m’étais pas agenouillé, dit- il ; je restais debout, regardant d’un œil morne et stupéfié, tandis que la terre tombait à pelletées sur la bière. Quand la fosse fut recouverte, des enfans qui s’étaient amusés à la voir remplir se mirent à courir en traînant derrière eux les pelles et en les faisant sonner sur le sable ; puis le fossoyeur aplatit une dernière fois les mottes du tertre et choqua sa bêche contre une tombe voisine pour en secouer la terre qui s’y était attachée ; il avait l’air satisfait comme un terrassier qui a achevé sa besogne, et moi, à ce bruit, je m’éveillai en sursaut de ma torpeur. »

De pareils traits ne sont pas rares chez M. Taylor. Est-ce à dire cependant qu’il puisse exercer une puissante attraction sur ceux qui sentent plus qu’ils ne pensent ? Ceci est une autre question, et, pour mieux indiquer ce qui manque au poète, j’aurai besoin de jeter un regard en arrière.

C’en est fait ou à peu près de l’école satanique, de cette orgie d’exaltations un peu enfantines, qui avait marqué le commencement de notre siècle. Les petits Prométhées, en Angleterre plus encore que partout, ont été détrônés. La littérature, dans toutes ses branches, atteste maintenant une société où l’individu est mieux contenu à sa place. Aux blasphèmes et aux dépits ont succédé la rêverie et l’instinct de vénération. Comme Luther, les poètes se réjouissent de sentir autour d’eux l’omniprésence du divin inconnu. Peut-être M. Taylor aurait-il lieu de dire que, dans un sens, la poésie n’est pas devenue plus propre pour cela à satisfaire nos besoins intellectuels : en tout cas, elle reflète tout un ordre d’impressions qui n’ont pu éclore que dans un milieu beaucoup plus raisonnable. Les femmes et les enfans ne sont plus les seuls à avoir leurs rimeurs, on ne saurait le nier ; néanmoins il existe une classe d’hommes qui, depuis Byron comme du temps de Byron, a rarement rencontré dans les poèmes et les drames nouveaux la traduction poétisée de ses préoccupations habituelles. Je veux parler des penseurs, de ceux qui lisent et pratiquent les réalités, qui étudient les sciences, l’histoire, la philosophie, qui commentent les hommes du présent par ceux du passé et qui ne sont pas cependant inaccessibles à l’émotion. Eux-mêmes en étaient venus à croire que les plaisirs artistiques n’étaient plus de leur âge. M. Taylor a entrepris de leur donner une poésie faite pour eux, et il y a réussi. On pourrait dire de lui ce qu’on a dit de Dante : que ses vers renferment à l’état latent une théorie et une décision arrêtée sur les plus graves sujets qui aient attiré l’attention de ses contemporains, sur la psychologie comme sur l’esthétique, sur la politique comme sur la philosophie de l’histoire, et pourtant ses vers sont encore une musique qui ne module que des vibrations intérieures. On ne les comprend point, on les sent ; je dois l’ajouter toutefois, ils sont froids, et ce qu’ils remuent en nous, ce ne sont point ces besoins et ces désirs qui font les joies et les douleurs de la vie active. Dans Edwin, il semble que M. Taylor ait déjà dépassé le degré d’activité intellectuelle dont la poésie dramatique peut être l’expression naturelle. Son œuvre n’a plus même de figure centrale. C’est un poème sans héros, une succession de tableaux : jamais l’auteur d’Artevelde n’avait été plus riche en observations, et même plus pittoresque et plus coloriste ; mais l’intérêt passionné a presque disparu. À peine l’écrivain prend-il part aux espoirs et aux craintes de ses personnages ; il les étudie ; les scènes se succèdent pour accentuer un trait de mœurs, exposer un caractère ; souvent, il est vrai, pour faire ressortir un effet