Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout le monde à contribuer, en n’exceptant que l’indigence. C’est la meilleure partie de son projet. M. Passy a fait justice de cette fausse théorie qui prétend que l’impôt doit affranchir le nécessaire et ne porter que sur le superflu. Qu’est-ce, en effet, que le superflu ? Où commence-t-il et où s’arrête le nécessaire ? Le nécessaire varie comme les situations, comme les besoins, comme les individus ; c’est 2,000 francs de revenu jour l’un et 10,000 pour l’autre. Il n’y a rien de plus arbitraire qu’une pareille distinction. En Angleterre, on exempte aujourd’hui de l’impôt les revenus inférieurs à 150 livres sterl. ; M. Pitt avait fixé la limite, le minimum à 60 livres sterl. 150 livres sont-elles donc la mesure du nécessaire pour la Grande-Bretagne en 1849, et cette mesure descendait-elle bien réellement à 60 livres en 1797 ? Où placera-t-on la limite en France ? Y a-t-il rien de plus relatif et de plus difficile à déterminer dans un pays démocratique ? Taxer ce que l’on appelle le superflu, c’est en tout cas détruire l’épargne dans son germe ; c’est s’opposer à l’accumulation des capitaux ; c’est tarir la source de la richesse et par conséquent de l’impôt.

Quant à l’assiette de la taxe sur le revenu, M. Passy rend hardiment la déclaration du contribuable pour point de départ.


« Les contribuables, dit l’exposé en termes assez naïfs, auront à faire leur déclaration, s’ils le jugent convenable. En cas d’abstention de leur part, une commission spéciale fixera leur contingent (dans chaque commune), sauf à admettre toutes les réclamations qui paraîtraient fondées, toutes les justifications présentées en bonne et due forme. Les préfets arrêteront ensuite les chiffres résultant des évaluations et fixeront la somme à payer par les communes, à raison de 1 pour 100. La matrice sera ensuite communiquée aux répartiteurs communaux, qui auront la faculté de proposer des modifications en faveur de ceux des contribuables dont la position leur semblerait mériter des ménagemens, mais sans qu’il doive en résulter des changemens dans le contingent assigné à la commune. »


Ce système, dans lequel M. le ministre des finances pense avoir « combiné les avantages propres chacun des deux modes de quotité et de répartition, » pourrait bien réunir les inconvéniens de l’un et de l’autre. En effet, l’avantage de l’impôt de quotité, avantage que l’on achète bien cher, puisqu’il faut subir, pour constater les valeurs sur une sorte d’exercice, c’est de ne payer que ce qu’on doit et dans la proportion de ce qu’on possède. Cette certitude disparaît complètement dans le projet de M. Passy, car les répartiteurs ont le droit de dégrever les contribuables qui réclament. Mais, la commune devant un impôt proportionné au revenu total de ceux qui l’habitent, la répartition fait retomber la part dont certains contribuables sont dégrevés sur d’autres qui étaient déjà taxés