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Je n’ai jamais cru à la conséquence que l’on a voulu tirer, sous la monarchie constitutionnelle, du principe de l’irresponsabilité royale, conséquence exprimée dans la fameuse formule : « Le roi règne et ne gouverne pas. » J’ai toujours considéré cette conséquence comme un des thèmes d’opposition les plus faux en logique et les plus funestes dans l’application. On a voulu la justifier par la théorie de la constitution anglaise, par Delolme et Montesquieu ; mais la théorie de la constitution anglaise, c’est nous qui l’avons faite. Il fallait consulter non la théorie, mais la pratique anglaise. Il a été publié, depuis vingt ans, une. Multitude de livres où sont mis en lumière les progrès intimes, les ressorts intérieurs du gouvernement de l’Angleterre. Ce sont, entre autres, les vies et les correspondances de lord Chatham, de lord Hardwicke, des Pelham, de lord Malmesbury, lord Sidmouth, de lord Eldon. Tous ces documens prouvent que le principe de l’irresponsabilité royale n’a jamais empêché en Angleterre l’intervention active, incessante, souvent impérieuse, des rois dans la direction des affaires. Les ministres en Angleterre ont été plus souvent les hommes du roi que les hommes du parlement. Ceux mêmes qui arrivaient au pouvoir par les influences parlementaires étaient dans une tout autre position que les hommes qui peuvent tenir en France le gouvernement de la faveur des assemblées. Les ministres parlementaires en Angleterre étaient les chefs de coalitions patriciennes ; ils conservaient l’indépendance de caractère, la suite de vues, la dignité d’autorité qu’inspirent toujours les sentimens, les traditions et les intérêts aristocratiques. Ils n’étaient pas, comme cela peut arriver chez nous, les premiers venus, jetés au pouvoir par un coup de vent révolutionnaire, et n’y restant qu’en servant les fantaisies mobiles d’une assemblée éphémère et inconstante. Chez les Anglais, même en admettant la théorie de la prépondérance parlementaire, le pouvoir n’est jamais exposé à perdre ce haut sentiment de la responsabilité qui fait la force et la sûreté du commandement. Or, chez nous la théorie du gouvernement parlementaire a produit des vices contraires. Je ne comprendrais pas que le parti modéré pût chercher à relever cette théorie, et voulût essayer de replacer dans les assemblées le levier du gouvernement. Il faudrait, s’il en était ainsi, que la leçon du février fût complètement perdue pour le parti modéré. Il n’y a pas d’exemple plus mémorable de l’impuissance des assemblées dans les grandes crises du danger d’affaiblir l’initiative dans la conscience et dans les mains du pouvoir. Nous avons eu le spectacle, au 24 février, d’un gouvernement qui est tombé sur lui-même, d’une société qui s’est laissé démanteler sans se défendre, parce qu’au moment du danger suprême le sentiment de la responsabilité et l’énergie de l’initiative ne se sont rencontrés nulle part, ou ont été partout énervés par