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les préjugés et les fictions parlementaires. Comment vouliez-vous qu’un roi à qui vous marchandiez à chaque instant l’usage de ses prérogatives pût toujours conserver active et forte, pour les jours de danger, la vertu souveraine du commandement ? Les préjugés et les fictions parlementaires avaient affaibli partout le sentiment, les scrupules et la vigilance de la responsabilité. Le roi était accoutumé à renvoyer la responsabilité à ses ministres ; les ministres s’en déchargeaient sur la majorité des assemblées ; qui la renvoyaient à l’opposition, laquelle s’en lavait les mains. Voilà le mal qui nous a une fois perdus, le mal auquel il faut attribuer l’inanition du pouvoir au 24 février ; ce mal a produit aussi un des vices les plus honteux de notre situation morale, l’aplatissement des caractères, car ce n’est que par le vif sentiment à l’usage continuel et hardi de la responsabilité que les caractères se fortifient et grandissent. En lisant au fond de ses propres intérêts, le parti modéré a donc lieu d’encourager le président dans une virile tentative qui retrempe le pouvoir et peut retremper les ames.

Si ces considérations. Sont vraies pour les intérêts généraux du gouvernement, elles sont plus vraies encore pour l’armée. L’importance et la mission de l’armée ont bien grandi en France depuis la révolution de février. Lorsque, deux fois, en deux ans, l’armée a sauvé le pays, lorsque, deux fois en deux ans, Paris a dû être soumis au régime de l’état de siége et à l’autorité militaire, il est certain que l’armée n’est plus seulement un des instrumens de la force publique : elle s’élève par l’esprit qui l’anime, la hiérarchie qui la constitue et les services qu’elle rend, à la hauteur d’un pouvoir public ; elle le droit de réclamer désormais une large influence dans la direction des affaires. Des utopistes imbéciles et de misérables rhéteurs ont choisi ce moment-là pour dénigrer la constitution et le rôle de l’armée. Non-seulement l’armée est la force matérielle de la France ; dans l’état de dissolution où ce pays est tombé après la révolution de février, l’armée a été la première de nos forces morales. Il y a eu un instant où toutes les vertus par lesquelles vivent les sociétés se sont réfugiées dans l’armée, où l’ame et le génie de la France s’étaient abrités dans ses files serrées comme le drapeau au centre de la colonne. Tandis que l’esprit d’insurrection et d’anarchie décomposait tout autour d’elle, l’armée a gardé la force du commandement, la religion de la discipline et le point d’honneur de l’obéissance. Pour un pays en révolution, une armée comme la nôtre est plus qu’une défense, elle est un exemple. Or il est élémentaire que la constitution d’une armée permanente réclame au sommet de l’état un pouvoir indépendant, stable, permanent. Tous les politiques de quelque valeur ont été tellement frappés de cette nécessité, que, jusqu’à la révolution de 1848, on a toujours