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de Londres les déportemens particuliers, de Philippe de Carteret, — lequel cumulait alors les places et emplois de lieutenant-gouverneur, bailli et fermier des revenus de sa majesté, — ainsi que la puissance exorbitante de cette famille, qui occupait sept des douze capitaineries de l’île. Sans y songer peut-être, les Carteret devenaient des tyrans, dans le sens ancien du mot, et les Jersyais, ornbrageux à l’endroit de leurs libertés, se tenaient en éveil. Or, on était alors au commencement de la guerre du long parlement, contre Charles Ier ; quelque étrangères que les îles pussent être à cette grande lutte qui divisait l’Angleterre en deux camps, ce fut sans doute l’insurrection des puritains contre le roi qui enhardit les états, à formuler une accusation contre les trop puissans sires de Saint-Ouen. Du moins peu s’en fallut que Jersey n’eût aussi sa guerre civile en bonne forme. Le parlement avait adressé à l’un des jurés-justiciers une commission qui le nommait bailli et un ordre d’arrêter Philippe de Carteret. Philippe de Carteret, au lieu d’obéir, décida la cour à méconnaître les actes du parlement. Cela fait, il se retira : au fort Elisabeth, et l’on vit l’autre bailli, celui du parlement, organiser contre la forteresse une attaque trop faible, que déjoua complètement l’arrivée des vaisseaux armés par les seigneurs de la famille de Carteret. Ce semblant de guerre civile ne troubla Jersey que bien passagèrement, et c’est la seule folie de ce genre que l’histoire ait à lui reprocher. L’île venait de faire une fois encore ses preuves de royalisme ; la fidélité des Jersyais fut récompensée par la confiance de Charles Ier, qui, réfugié alors chez les Écossais, sur lesquels il compta trop, résolut de lui envoyer son fils, le prince de Galles. Les Jersyais, inébranlables dans leurs principes de loyauté, eurent à peine appris la mort violente de Charles Ier, qu’ils proclamèrent son fils Charles II, ce même prince de Galles qui se trouvait alors en Hollande. La proclamation porte la signature de six personnages importans du nom de Carteret. Mais voyez l’esprit indépendant et fier de cette race qui ne se dément jamais ! Quand plus tard Charles II ou les siens voulurent engager ou céder à la France les îles de la Manche, les Carteret intervinrent et : mirent le holà ! Ces îles, c’étaient eux, leurs biens, leur puissance ; ils y tenaient comme à leur honneur ; et, s’ils les avaient opprimées, ils surent en plus d’une circonstance les protéger et les défendre.

En 1651, l’île de Jersey, attaquée par des troupes nombreuses, dut subir le joug des têtes-rondes. Le bailli, George de Carteret, retiré dans le château d’Elisabeth, résista obstinément ; il n’avait avec lui qu’une poignée d’hommes. Une bombe fit sauter ses poudres et lui tua beaucoup de son monde ; il ne se rendit point encore. Charles, son roi, était en France : George de Carteret lui exposa par lettre sa situation désespérée, et ce ne fut qu’avec la permission du souverain sans couronne