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mare pour étang. Combien en compte-t-on à Jersey, de ces demeures calmes et discrètes, si bien appropriées aux douceurs d’une vie intime, solitudes pleines de paix où n’arrivent que le bruit du vent dans les hêtres et le murmure lointain de l’Océan ! Le voyageur qui parcourt l’île n’a guère le temps de les remarquer, il ne s’arrête que là où le cicerone lui dit : Regardez ! Son itinéraire, tracé d’avance, le conduit au cap Gros-Nez, sur lequel on lui montrera des ruines assurément fort anciennes, mais réduites à si peu de chose, que les uns en font un château, les autres un ermitage ; — aux grottes de Plémont (on en voit ailleurs d’aussi remarguables) ; — à la grève aux Lançons et à la grève de Leeq, sites fameux où se sont passées de lamentables histoires dont le récit nus entraînerait à écrire la monographie de Carteret. Mieux vaut suivre tout simplement la côte. On retrouve tous les caprices de la mer, ici semant de coquillages un sable fin, et uni au pied même des rocs les plus sauvages, là creusant le granit, battant en brèche les promontoires, ailleurs murmurant à peine et semblant faire silence pour écouter le ruisseau qui bondit joyeusement sur les galets. Du haut des falaises, on découvre Guernesey et les îlots voisins ; partout abondent les points de vue pleins d’originalité et de grandeur, les baies charmantes cachées au fond d’un ravin menaçant, et les mystérieuses vallées où le gazon et la racine des frênes descendent jusqu’à l’Océan. Cette succession rapide de tableaux imprévus éblouit le regard ; on cherche où le reposer : tout à coup la tour de Rozel surgit du milieu de ses bois de chênes, et on s’arrête. Noirmont, dont nous avons parlé plus haut, est le manoir pittoresque ; Saint-Ouen, le manoir historique et féodal ; Rozel est le château par excellence, tel, que l’eût rêvé Walter Scott, s’il n’eût trouvé Abbotsford tout bâti.

Rozel a pour voisinage les précipices et la mer ; pour horizon, les côtes de Normandie au-delà du détroit ; pour promenade, un parc étendu et bien percé, un ravin sauvage, menaçant, comme il s’en trouve en Écosse à la base des montagnes qui enveloppent les lacs. Tout cela forme un ensemble si complet, qu’il n’y a plus rien à désirer. On contemple cette noble résidence avec admiration, mais sans se sentir ému. À travers les grands arbres qui inclinent leurs rameaux sur les pelouses, s’élance le château que surmonte une haute tour en forme de donjon. Cependant ne cherchez là ni le vieux castel à créneaux, ni le logis massif du temps de Louis XIII ; le manoir de Rozel est un de ces édifices qui n’existent, pour nous, que dans les gravures anglaises. Ils n’ont pas d’époque déterminée ; on dirait qu’ils sont sortis tout faits du sein de la terre qui les porte, pour complaire à un gentilhomme de goût, ami de la belle nature et du comfort. Ce fief appartient depuis des siècles aux Lemprière ; les souverains d’Angleterre le leur ont concédé, et le seigneur de céans doit rencontrer le roy, si le cas avient