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elles y restent ; qu’elles soient anglaises ou originaires de l’île, ces familles vivent de la même façon, et leurs habitudes se ressemblent. Il y a désormais entre les deux races, pour ce qui tient à la vie extérieure, similitude parfaite, dans les classes aisées surtout ; car les peuples se confondent par en haut comme les arbres des forêts se mêlent par leurs rameaux. Quant à la population laborieuse de l’île, quoiqu’elle ait beaucoup emprunté à ses voisins d’outre-Manche, elle a un caractère, des allures, et même un type de physionomie qui lui est propre ; ces traits distinctifs, elle les conservera tant que l’archipel jouira du droit de parler sa langue et de se gouverner par ses lois particulières.

Le Jersyais, on le sait, appartient à la race normande ; c’est assez dire qu’il est laborieux, ami des champs et de la culture, persévérant dans ses entreprises, tenace dans ses idées, et partant amateur de procès, ardent à défendre ses droits, ennemi des révolutions. Une partie de cette population active se voue au travail des terres ; ce sont les aînés, la loi voulant que le père de famille laisse à son premier-né une étendue de terrain assez considérable pour que la ferme puisse subsister intacte ; les autres enfans, garçons ou filles, se partagent le reste de l’héritage. Cette loi, qui serait si impopulaire en France, et qu’on ne songe point à attaquer dans les îles, a pour effet d’empêcher la subdivision à l’infini d’héritages fort restreints. Grace à cette institution protectrice qui nous semble tyrannique, chaque famille ressemble à un arbre dont on élague les rameaux secondaires au profit du tronc. Aux enfans dépossédés, et qui savent d’avance quel sort les attend trois genres de carrière se présentent naturellement : apprendre un état, émigrer dans les nombreuses colonies de l’empire britannique et naviguer. Ce dernier genre de vie est celui qui plaît le plus au Jersyais ; il est par instinct marin, et non matelot, c’est-à-dire qu’il s’embarque volontiers sur les navires de son pays, qu’il court les mers, qu’il fait la pêche sur les côtes de Terre-Neuve avec l’espérance de revoir son île à des intervalles réguliers. Quand il arrive d’un long voyage, la charrette de la ferme paternelle vient le prendre au quai avec son coffre, et l’emmène se reposer sous le toit qui l’a vu naître, au sein de sa famille, au milieu des champs et des vergers qu’il cultivera de bon cœur jusqu’à la prochaine campagne. Ce sont là des mœurs simples et rangées qu’on ne rencontre point chez le matelot de profession. Le Jersyais est brave ; il se défend chez lui avec le courage persistant et le sang-froid propres à sa race ; mais il n’a ni l’esprit guerrier, ni le goût des conquêtes. Enrégimenté de droit dans les bataillons de milice, infanterie et artillerie, qui forment, avec la garnison des forts, la seule défense de son île, il s’exerce au tir plusieurs fois par an et s’habitue aux manœuvres. Ces réunions armées ont un grand charme pour lui ; il manie avec passion le mousquet, qu’aucune puissance au