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la Normandie avec une générosité sans exemple ; elle a fait de ses paisibles insulaires de véritables enfans gâtés. Il est vrai qu’au temps de Jean-sans-Terre et des Stuarts, ces îles n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Il y en a qui, des rives de la Grande-Bretagne, jettent maintenant sur cette contrée privilégiée un œil d’envie, et l’année 1848, qui a répandu tant de calamités sur le continent, a apporté aux Jersyais leur petit contingent de perplexités. On redouta dans l’archipel, non une révolution, mais, bien au contraire, un coup d’état. Des commissaires avaient parcouru les îles, chargés d’une mission vaguement définie ; ils devaient s’assurer de l’état des esprits et de l’importance du pays en lui-même. Le rapport qu’ils firent à Londres fût critiqué et honni par une partie des Jersyais ; il était peu favorable à la population, des campagnes, à la race normande, dont la langue à demi française sonnait désagréablement à l’oreille des commissaires. Il régna à Jersey une certaine inquiétude, on craignit que le gouvernement britannique, mal renseigné, ne voulût changer la constitution des îles et les assimiler, en tout ou en partie, aux comtés de la Grande-Bretagne. Le bailli étant mort sur ces entrefaites, des journaux influens annoncèrent qu’il n’y en aurait plus, et que c’en était fait des états et de la cour. Bientôt cependant la nomination d’un nouveau bailli vint couper court à ces agitations et calmer les têtes échauffées. Le canon tonna sur le port, les rues furent pavoisées ; l’installation se fit avec tout l’apparat usité en pareil cas. Au milieu de la cour réunie et en présence du gouverneur, l’huissier revêtit du manteau de bailli le magistrat à qui la reine venait d’adresser ses lettres-patentes, et le juge délégué lui fit prêter le serment d’usage, formulé en termes anciens, pleins de dignité, de simplicité et de grandeur.

« Vous jurez et promettez ici, en la présence de Dieu, que fidèlement vous exercerez l’état et charge de bailly, en cette isle de Jersey, sous notre souveraine dame la reine Victoria, par la grace de Dieu reine de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, et des dominions qui en dépendent, renonçant à toutes supériorités foraines ou étrangères ; vous soutiendrez et maintiendrez l’honneur et gloire de Dieu, et la prédication de sa pure parole ; vous conserverez et garderez les droits de sa majesté, et les rappellerez par droit et justice, si vous trouvez qu’aucune chose en ait été omise, recelée ou étrangée ; : vous garderez et ferez garder la paix le plus qu’il vous sera possible ; vous détruirez et ferez punir et corriger les traîtres, larrons, ardeurs, hommicides et blasphémateurs du nom de Dieu, et tous autres malfaiteurs, chacun selon le démérite de leurs forfaits ; vous garderez et ferez garder loyallement et justement les droits et coutumes de l’isle, et, selon icelles, ferez droit au peuple, baillant et délivrant à chacun bonne et briève justice, au petit comme au grand, au riche comme au pauvre, sans exception de personne, gardant le droit des veuves, orphelins, étrangers et autres personnes indéfendues, autant qu’il vous sera possible ; vous