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d’un Anglais voudrait qu’il y eût à Jersey des places salariées en avoir sa part[1].

Qu’on ne se figure pas cependant que les journaux, — nous parlons de ceux qui sont écrits en français et lus seulement dans les îles, — soient à Jersey ce qu’ils sont ailleurs. La polémique n’y tient qu’une petite place ; avant d’aborder les questions locales, le journaliste a dû faire connaître à ses lecteurs ce qui se passe dans le reste du monde, puis viennent les annonces de toute sorte, le compte-rendu des séances des états et de la cour, des feuilletons honnêtes et sérieux traduits de l’anglais pour la plupart, et parfois des vers, mais bien rarement. La littérature, il faut bien le dire, n’est pas très cultivée dans l’archipel ; je ne sais pas si Jersey a produit un seul poète de renom depuis Robert Wace, l’auteur du Roman du Rou, qui mourut en 1184. Ces îles sont trop petites d’ailleurs, pour qu’il puisse s’y former un foyer littéraire ; ne leur demandons pas ce qui manque à la plupart de nos grandes villes de province, mais félicitons-les d’avoir tellement multiplié les écoles (grace au régime de liberté dont elles jouissent), que tous leurs habitans savent lire. Les cultivateurs ont tous quelques livres dans leurs fermes, et c’est à eux surtout que s’adressent les journaux publiés en français. Le samedi, après avoir porté leurs denrées au marché de Saint-Hélier, qui est, par l’abondance et le choix des produits, l’un des plus beaux qu’on puisse voir, ils passent au bureau du journal qui convient le plus à leur manière de penser ; et se munissent d’un exemplaire frais imprimé. Ils le liront en retournant à leurs champs, paisiblement assis dans ces simples charrettes garnies de chaises, qui transportent par milliers les familles de l’intérieur à la ville, centre de toutes les affaires.

Quelques personnes, même en Angleterre, ont paru penser que les îles de la Manche ; à cause de leur voisinage du continent et de leur attachement à la langue de leurs ancêtres, éprouvaient une secrète sympathie pour la France. Erreur profonde ! Le Jersyais, il est vrai, a fait toutes ses réserves en se donnant à la Grande-Bretagne ; mais, quant à nous, il nous déteste. Cette haine qu’il nous a vouée a été entretenue

  1. Nous avons dit en commençant que la cour royale fondée par Jean-sans-Terre se composait de juges ou jurés-justiciers nommés par les citoyens et non rétribués. Les charges de procureur-général, de vicomte (sheriff), d’avocat-général et de bailli sont conférées par la reine. Les juges siégent aux états, ainsi que les connétables des douze provinces, magistrats électifs, qui remplissent gratuitement les fonctions de maires, et les recteurs ou ministres de ces mêmes paroisses. Le gouverneur siège aux états, ainsi que le procureur, l’avocat-général et le vicomte ; mais ils ne votent pas. Le bailli, premier magistrat civil, préside les états et la cour. La police est confiée à des centeniers et vingteniers qui, sans rétribution aucune, se dévouent aux rudes fonctions de commissaires et de constables.