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champs de bataille comme dans les conseils de son pays, mais par des causes communes a tous les états de l’Europe, lesquelles, en élevant partout les classes moyennes et le peuple, abaissent en proportion les aristocraties. L’aristocratie anglaise le sent, elle l’avoue ; elle peut s’en inquiéter, elle ne s’en irrite pas. Elle s’en irriterait s’il y avait de sa faute ; mais elle confesse la force des choses et elle y obéit. Aussi bien ce n’est pas un combat où elle est vaincue, c’est un dessein de la Providence devant lequel elle s’incline. La fameuse réforme des lois sur les grains était une atteinte profonde portée à sa puissance territoriale : elle s’y est soumise. Qu’elle en ait eu et qu’elle en conserve de la mauvaise humeur ; que sir Robert Peel si admiré ici pour ses expédiens, y soit traité de politique sans principes, d’homme qui a retourne son habit, turncoat, peu importe, elle n’en a pas moins cédé sans avoir épuisé tout son droit de résistance. Le sacrifice n’est glorieux qu’en raison de ce qu’il a coûté, et celui-là a été double, sacrifice d’argent, sacrifice de puissance : c’est la chair et le sang qui ont pâti, mais le patriotisme l’a emporté.

J’ignore si les événemens imposeront bientôt à l’aristocratie anglaise d’autres épreuves ; mais, dût-elle disparaître, les classes moyennes la remplaceraient : elles y sont prêtes. Elles ne lui font pourtant pas la guerre, elles ne la dénigrent pas ; elles lui prennent plus de ses qualités que de ses privilèges ; elles songent plus à l’imiter qu’à la jalouser ; elle font comme l’héritier d’une grande fortune aux mains d’un possesseur qui vieillit : sans désirer la mort du possesseur, elles s’exercent à administrer la fortune. Elles ont imité de l’aristocratie, les principes et les pratiques qui ont fait sa puissance, en faisant la grandeur de l’Angleterre ; elles lui ont pris son attachement à la religion, sa fidélité au roi, son orgueil pour le pays, son attention aux souffrances des classes inférieures. Il y a d’autres qualités encore où les classes moyennes ont suivi l’exemple de l’aristocratie ; mais c’est assez d’examiner en quoi, sur ces quatre points, elles font preuve d’intelligence politique.

Leur attachement à la religion est vif ; c’est d’ailleurs un trait du caractère anglais. Swift aurait pu ajouter à sa définition l’épithète de religieux. Il n’est pas de droit dont les Anglais soient plus jaloux que celui d’être religieux à leur façon et chrétiens de leur secte. De là tant de diversités d’églises en Angleterre ; mais comme si le schisme même, dans ce pays, avait la vertu d’unir, cette diversité fortifie l’attachement de la nation au principe protestant, lequel n’est que le droit de différer dans l’interprétation des livres saints. Ainsi, ce qui détruit ailleurs la foi, ici l’affermit ; il y a beaucoup d’églises, il n’y a qu’un protestantisme.

Les classes moyennes mettent plus d’ardeur aux choses de religion