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L’administration avait offert douze francs à chaque clerc, cinq francs à chaque facteur qui ferait le service, ajoutant, disaient les emportés, la corruption à l’insulte. Je donne à deviner combien acceptèrent l’offre Aucun. Dans cette multitude d’employés, la plupart chargés de famille il ne s’en est pas trouvé un seul qui voulût vendre son dimanche ou qui l’osât. En Angleterre, le gain fait le jour du repos est réputé ne pas profiter. Je demandais un dimanche à un meunier, après une semaine où les ailes de son moulin avaient été immobiles, s’il n’avait pas quelque regret de laisser perdre le vent que le bon Dieu faisait souffler ce jour-là. « J’ai toujours remarqué, me dit-il, que ce qu’on gagnait le dimanche, on le perdait le lundi »

Que, dans ce soulèvement des classes moyennes en faveur du dimanche, tout n’ait pas été pour la gloire de Dieu ; que d’honnêtes marchands de pieux tradesmen, qui tiennent à faire bien leurs affaires dans ce monde, tout en les préparant dans l’autre, aient fait réflexion que le nouvel arrangement postal profiterait surtout au spéculateur qui veut des nouvelles, fût-ce au prix de son ame, ou donnerait aux affaires d’un concurrent peu scrupuleux sur le dimanche l’avantage d’un jour de plus ; je ne le sais pas certainement, je le crois. Mais qu’importe encore ? La plus innocente condition que nous puissions mettre à nos vertus, c’est assurément qu’elles ne profitent pas aux vices des autres. Il faut être bien parfait pour trouver mauvais qu’un honnête marchand ne soit pas bien aise de prier, tandis que son concurrent lui enlève ses cliens.


III

Après l’attachement à la religion vient la fidélité au roi. Après Dieu, le roi ; le roi, non comme personne privilégiée, non comme Stuart, Orange ou Brunswick, mais comme loi. Le dévouement à la personne ou à la famille a cessé avec la maison des Stuarts ; le dévouement au roi, comme personnification de la loi, date de la révolution de 1688. Rien ne ressemble moins à ce qu’on appelait en France, avant 89, l’amour pour le roi, que la loyauté du peuple anglais d’aujourd’hui. Nos pères s’agenouillaient dans les rues quand passait le carrosse du roi. Le peuple des provinces croyait le roi d’une autre nature que ses sujets. J’ai ouï dire à mon père qu’une femme de la campagne, venue à Versailles pour voir le roi, s’était écriée, en le voyant passer : « . Ah ! ce n’est-ce que cela ? Je croyais que c’était une boule d’or !! »

Le peuple anglais n’a pas d’adoration ni d’illusion de ce genre. Il est pourtant certaines cérémonies où l’on s’agenouille devant le roi ; mais, outre que son caractère de chef suprême des églises peut expliquer la forme religieuse de cet hommage, c’est là un de ces abus qui