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l’émeute. D’abord, elle n’y a pas amis. Il n’est personne dans ses rangs qui songe à demander aux chartistes l’aide de leurs bras pour obtenir une réforme constitutionnelle. Elle sait que de tels auxiliaires ne se battent que pour leur compte, et que, dans toute lutte civile, ceux qui veulent le moins ne sont pas long-temps maîtres de ceux qui veulent le plus. Je n’ai pas vu sans émotion, à l’une des barrières de Londres, cette vaste plaine de Kennington, où deux cent mille chartistes, convoqués par toutes les trompettes de la destruction, chauffés, harangués nuit et jour, ayant pour la plupart laissé dans les tavernes ou perdu sur place les trois quarts de leur raison, se dispersaient devant cette seule parole d’un agent de la loi : « Vous ne passerez pas le pont ! » Tandis qu’au-delà de la barrière s’amassait plus de force révolutionnaire que février n’en a déchaîné contre tous les gouvernemens de l’Europe, en-deçà se rangeait silencieusement, dans toutes les rues, l’armée de l’ordre et de la liberté, prête à barrer de son corps le chemin à l’émeute, et résolue à sauver, au prix de sa vie, le droit qu’ont tous les Anglais, chartistes ou autres, d’exprimer des vœux raisonnables et la chance de les faire écouter. Admirable journée, qui a été, me disait un Anglais, une révolution ; oui, une révolution sans révolutionnaires : celles-là sont les bonnes. Telle a été, en effet, l’issue de cette journée, que les besoins réels, qui servaient de prétexte aux meneurs, ont été entendus, et qu’on a sauvé l’ordre, par lequel seul il y peut être donné satisfaction. Pour tous les Anglais de bon sens, il n’y a eu de vaincus dans la plaine de Kennington que les mauvaises passions qui s’y couvraient de l’intérêt pour les classes ouvrières, que les ambitieux qui prenaient pour drapeau le haillon du pauvre, que les chefs qui exploitaient les soldats. Les classes ouvrières auront part dans la victoire de l’ordre ; il n’y a pas de risque que la loi soit sans entrailles pour une foule déchaînée qui s’est dispersée à son nom.


V

Cela m’amène à la plus belle marque de l’intelligence politique chez les classes moyennes en Angleterre, je veux dire l’attention qu’elles donnent aux besoins des classes ouvrières. Il y a deux budgets du pauvre dans ce pays, le budget légal et le budget volontaire ; il y a deux sortes de charités, la charité de la loi et la charité libre.

Pour parler d’abord de la première, on sait à quelle somme énorme s’élève l’impôt des pauvres. Je ne loue ni ne blâme l’institution de cet impôt. Son efficacité, sa moralité même, ont été controversées : c’est matière à débat entre les économistes. Je suis cependant touché de son effet immédiat ; j’y vois les pauvres secourus, le pain donné à ceux qui ont faim, le précepte de l’Évangile accompli ; et je ne regrette pas d’ignorer