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Dans les bazard d’Orient, tous les artisans ne sont pas confondus, tous les négoces ne sont pas mêlés ; ils sont séparés, ils ont des quartiers distincts ; chaque nature de marchandises a son bazar particulier. Ainsi il y a le bazar des drapiers, le bazar des armuriers, le bazar des cordonniers, des tailleurs, des confiseurs, etc., et ce dernier n’est pas l’un des moins importans. Les Persans, en effet, sont friands et mangent beaucoup de sucreries. Cette classification des bazars établie d’après les diverses branches de négoce, leur donne un aspect très pittoresque. Rien, par exemple, n’est curieux comme le bazar où sont groupés, sans apprêt, avec tous les accidens que forme le hasard, les damas du Khorassan ou les canons damasquinés de Chiraz à côté des flèches peintes de la Turcomanie ou des boucliers kurdes ; plus loin, ce sont les marchands de tapis, ou ceux qui vendent les kadoks[1] d’Ispahan ; ils étalent dans un pêle-mêle harmonieux leurs charmans sedjiàdèhs[2] aux mille couleurs habilement nuancées, ou leurs longues bandes de toile de coton à grands ramages de fleurs et d’oiseaux entremêlés ; ici est la rue des Hachpâss, où le boutiquier vient prendre son repas, composé d’un peu de pilau et de quelques morceaux de khebâb ; à côté, un kalioûndji lui prépare une pipe en lui assurant que son tombeki est bien un véritable chirazi. Cette partie du bazar n’est pas une des moins pittoresques : les tons vigoureux qui lui sont particuliers y déterminent des effets d’ombre et de lumière qui ne seraient pas indignes de la palette de Rembrandt. Les élégantes boutiques des émailleurs font une heureuse opposition à la teinte enfumée et quelque peu sombre de ce bazar culinaire. Là sont disposés avec art, pour séduire les amateurs, les charmans kalioûns en or, en argent, émaillés de bleu, de vert, avec des guirlandes de perles, et des tubes habilement sculptés. Tout près des émailleurs sont les peintres, les habiles faiseurs de boites et de kalamdans ou écritoires, sur lesquelles, avec un fini et une délicatesse inouis, ils représentent des oiseaux, des fleurs, des arabesques ou des scènes de harem. De ce côté du bazar se trouvent aussi les séduisans haïnèhs, petits miroirs dont la glace est cachée et couverte de peintures délicieuses : c’est là un des ouvrages dans lesquels les Persans excellent ; ils y apportent un fini, une adresse, une touche délicate qui font de ces miroirs de petits chefs-d’œuvre.

De distance en distance, dans ces galeries, s’ouvre une grande porte, qui est celle d’un caravansérail. Comme les bazars, les caravansérails ont leur spécialité : les uns reçoivent les épices, les drogues ou les matières propres à la teinture ; les autres les soieries, les velours, ou les porcelaines, les verreries, les peaux, les métaux, etc. Ce sont des espèces d’hôtelleries où descendent, avec leurs marchandises, les né-

  1. Cotonnades de couleur.
  2. Tapis pour faire la prière.