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prière. C’est ce que les Persans appellent un medressèh, c’est-à-dire une école dans laquelle les mollahs instruisent les jeunes mirzas et commentent, pour l’enseignement religieux, les textes arabes du koran. Une grande porte, en partie barrée par une chaîne selon l’usage, sert d’entrée au medressèh, et introduit le visiteur dans un portique très vaste et magnifiquement orné de mosaïques. En face s’ouvre une arcade qui laisse voir les ombrages d’un vaste jardin ; à droite et à gauche sont des logemens réservés aux mollahs. C’est là aussi que se tiennent les marchands attirés par l’affluence des élèves. Leurs tréteaux en gradins sont chargés de fruits, de pastèques et de concombres ; les bols de lait caillé ou yogourt rivalisent avec les cherbets (sorbets), l’hydromel, les pilaus odorans et safranés, affriandant par leur fumet les écoliers qui hésitent en face des broches engageantes de khebâb, sur lesquelles le hachpâss du lieu répand généreusement le poivre. À côté, les kalioûndjis préparent leur meilleur tombeki, et essaient leurs pipes, dont on entend les ronflemens aspirés par d’excellens poumons. C’est à ces buffets que viennent se restaurer les étudians. Ils y sont bien traités ; la carte n’est pas chère, et le beau ciel d’Ispahan prête au repas frugal qu’on leur sert en plein air une saveur à laquelle moi-même je ne fus pas insensible. Au centre du portique est une large vasque en porphyre, remplie d’eau, sur les bords de laquelle sont des tasses en cuivre mises à la disposition de ceux qui ont soif.

L’intérieur du medressèh ressemble à celui de toutes les mosquées ; nous ne le décrirons pas : nous remarquerons seulement que le charme particulier de cette mosquée est dans ses magnifiques ombrages. Partout les jasmins et les rosiers s’y enroulent au pied des arbres, grimpent dans leurs branches et répandent de délicieux parfums. Dans ce lieu, l’étude est un plaisir, et les jeunes Persans qui viennent l’y chercher s’y oublient volontiers. Aussi cette école est-elle la plus fréquentée d’Ispahan.

Après avoir parlé des monumens d’Ispahan, parlerons-nous de sa population ? Ce que nous avons dit des désordres commis par les loutis fait assez connaître combien les habitans d’Ispahan poussent loin ce mélange de fatalisme et de violence, de torpeur et d’exaltation, qui est le propre des Orientaux. Tout l’intérêt d’un séjour à Ispahan se concentre dans une visite aux admirables créations de la puissance des Sophis, qui s’y offrent si nombreuses au voyageur. La vie des Persans se partage elle-même tout entière entre les bazars, les mosquées et les palais. C’est là que nous l’avons observée pendant notre séjour dans la seconde capitale de la Perse ; c’est-là que nous avons rencontré à la fois le passé dans ses formes les plus splendides et le présent sous son aspect le moins triste.

Eugène Flandin.