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empêcha que l’ordre ne fût gravement troublé. L’état prospère de la fabrique d’horlogerie, qui occupe à Genève un si grand nombre d’ouvriers, ne facilitait guère les menées démagogiques. Malgré les efforts du radicalisme, habile à profiter des prétextes que venaient lui fournir les questions fédérales pour réveiller l’antagonisme et l’exploiter à son profit, la majorité demeurait compacte et paraissait même tendre plutôt à s’accroître. Les élections pour le renouvellement du grand conseil en offrirent la preuve. On se plaisait à croire la crise révolutionnaire terminée, en voyant Genève entrer franchement dans la voie démocratique, avec ses vieilles habitudes républicaines et sa longue expérience de la liberté. Hélas ! on oubliait que la liberté ne peut que trop facilement ramener au despotisme, quand elle est arrivée à ce point de développement où, la force matérielle ayant perdu presque tout son empire, la loi n’a plus d’autre sanction que celle du sentiment moral qui implique la nécessité de s’y soumettre.

L’émeute du 13 février 1843 avait fait une brèche à l’autorité légale. En reculant, par esprit de conciliation, devant la nécessité de punir, le gouvernement s’était placé sur un mauvais terrain ; il avait en quelque sorte reconnu le droit de l’insurrection et traité avec elle comme avec une puissance : déplorable faute qui, loin de lui rattacher les coupables ainsi amnistiés, leur donna le sentiment de leur force et de sa faiblesse ! Vainement on prétend se soustraire à la pression de la foule : si l’élément moral et intellectuel ne sait pas s’imposer résolument, la force brutale reprend bientôt le dessus. Jusqu’ici les sociétés n’ont jamais pu échapper à cette alternative. Dans la lutte du bien et du mal, l’énergie est la condition de la victoire ; aussi le mal triomphe-t-il le plus souvent, parce que son audace ne recule devant rien. Genève devait faire la cruelle expérience de cette puissance terrible du mal ; quatre années suffirent pour altérer profondément ses mœurs républicaines, pour aveugler sa population, généralement cultivée et intelligente, au point de lui rendre odieuses les institutions auxquelles étaient dues l’indépendance et la prospérité du pays.

Après la chute du gouvernement vaudois en 1845, resté seul debout entre les deux partis extrêmes, le canton de Genève se montrait fidèle à sa politique conciliante, appuyant ce qu’il pouvait y avoir de juste dans les griefs allégués par les états du Sonderbund, et faisant appel au patriotisme suisse pour repousser les mesures brutales que proposaient leurs adversaires. Aussi le radicalisme dirigea-t-il bientôt tous ses efforts contre ce dernier obstacle, dont la persistance l’exaspérait. Il lui fallait à tout prix obtenir en diète une treizième voix pour l’expulsion des jésuites, afin de pouvoir accomplir ensuite la révolution fédérale qu’il méditait. Le suffrage universel n’ayant pas réalisé les espérances préconçues, on s’apprêtait à essayer encore une fois de l’émeute et des barricades. À Genève, de même que dans le canton de Vaud, le radicalisme s’était en quelque sorte incarné dans un homme, seul, comme M. Druey, au milieu d’une foule d’incapables, d’ambitieux jaloux et de dupes exaltées ; mais ce chef unique offrait un type différent, moins original et plus passionné. M. James Fazy appartient essentiellement à l’école révolutionnaire française ; il est un produit du journalisme parisien. Son esprit s’est développé, son éducation s’est faite dans cette société superficielle et joyeuse des enfans perdus de la presse quotidienne de Paris, journalistes en sous-ordre dont la plupart exploitent sans beaucoup