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de scrupule la bonhomie du public. Antipathique par nature aux profondes spéculations de la philosophie allemande, il relève directement de l’école incrédule, du XVIIIe siècle, et semble n’avoir jamais senti le besoin de doctrines plus élevées, de principes plus solides. Homme d’opposition par excellence, toutes ses facultés se sont exclusivement consacrées à l’art d’attaquer les places fortes de l’ordre social, non pas, comme les faiseurs de systèmes, en vue d’établir une organisation nouvelle, mais simplement pour le plaisir de satisfaire son humeur inquiète et d’ouvrir un champ libre aux caprices de sa volonté. L’ambition porte chez lui le caractère des fantaisies d’un enfant gâté que la moindre résistance irrite, et qui n’a pas plus tôt obtenu l’objet de ses désirs, qu’il aspire à quelque autre, comme s’il trouvait du charme à se créer sans cesse des obstacles.

Il y a encore entre M. Fazy et M. Druey une différence essentielle : c’est que l’agitateur genevois est par excellence ce qu’on pourrait nommer un révolutionnaire de l’espèce aristocratique. En cela, il n’a fait que se prêter aux tendances des ouvriers genevois, de ces singuliers démocrates qui n’aiment à confier leurs intérêts qu’à un monsieur du haut. Quand on peut à Genève donner à ses tendances démagogiques un certain parfum d’aristocratie et unir surtout la qualité d’homme de lettres à celle de prolétaire de bon ton, il est rare qu’on ne réussisse pas. M. James Fazy nous offre un exemple curieux des succès de cette espèce. Écrivain diffus et peu correct, il a su mettre à profit, vis-à-vis des ouvriers de Genève, sa position littéraire, si obscure qu’elle fût. L’Homme aux Portions, publié par lui en 1821, et les Voyages d’Ertelib, en 1822, contenaient sous le voile de l’allégorie la critique du système social et de l’organisation politique de la Suisse ; ces opuscules passèrent inaperçus. En 1826 parurent de lui des scènes historiques : la Mort de Lévrier, pauvre conception empruntée à l’histoire de Genève, et dans laquelle la prosodie n’était pas moins maltraitée que la langue. La même année, il publia des Opuscules financiers, où quelques idées assez justes sont présentées sous une forme confuse et déclamatoire. En 1828, dans un écrit dont le titre était original, la Gérontocratie, ou Abus de la sagesse des vieillards dans le gouvernement de la France, M. Fazy se plaçait sur son véritable terrain : il déployait une certaine verve de pamphlétaire, et lançait quelques traits piquans contre les travers de la restauration française ; mais, par une singulière fatalité, M. James Fazy fournissait d’avance des armes contre lui-même, car il était destiné à n’arriver au pouvoir qu’après l’âge de cinquante ans, c’est-à-dire au moment où l’on pouvait, sans trop d’injustice, commencer à le ranger parmi les Gérontes. En 1830, il écrivait à Paris dans quelques-uns des journaux de l’opposition la plus avancée. Pendant les journées de juillet, on le vit paraître à l’Hôtel-de-Ville avec les autres publicistes qui s’y portèrent pour s’installer en gouvernement provisoire. Il se considérait alors comme citoyen français, ainsi que le prouva son interrogatoire dans un procès qu’il eut à subir, deux ans plus tard, pour délit de presse. Déjà, en octobre 1830, il avait été condamné par défaut en qualité de rédacteur de la Révolution, pour n’avoir pas rempli les formalités imposées par la loi. Ce fut à la suite de sa seconde condamnation que, dégoûté probablement par la perspective de la prison qui menaçait les journalistes de son parti, il revint à Genève et choisit désormais sa petite patrie pour théâtre de son activité remuante, sans perdre de vue les projets du radicalisme européen, auxquels