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Cependant, bien que ces qualités soient surtout faites pour lui donner la domination terrestre, bien qu’elles soient exclusivement appliquées à l’étude réelle des faits, cette race ne manque pas de qualités idéales. Ses vertus sont grandes, mais elles sont inflexibles ; sa sensibilité est mâle et contenue, et a peu d’entraînement ; ce qui constitue sa faculté poétique, idéale, c’est une grande puissance de souvenirs, une grande et fidèle mémoire. Ce respect des Anglais pour la coutume, si admiré des étrangers, enfante parmi eux tout ce qu’il y a d’excentrique, d’exceptionnel et d’humoristique dans leur manière de vivre ; ces pensées aventureuses et ces volontés toujours renaissantes, enveloppées dans les ombres et les couleurs du passé, ce mélange de mœurs anciennes et de hardiesses nouvelles, constituent tout ce qu’il y a de poétique, de singulier et de sympathique dans la littérature, dans l’histoire et dans la vie anglaises ; mais, comme si toutes choses avaient été calculées pour donner à ce peuple la puissance et pour l’aider dans ses desseins, il se rencontre que cette faculté de la mémoire, — qui se traduit dans la politique par le respect de la coutume, et dans la vie extérieure, dans les mœurs, par l’habitude, — devient encore pour lui un moyen de conquête et de domination. Ce respect du passé le défend en quelque sorte de lui-même ; ses habitudes le défendent de ses volontés, et lui donnent repos et sécurité. Le passé entoure sa vie présente de remparts moraux qui le protégent à l’intérieur, comme les flots de la mer le protégent à l’extérieur. Ses mœurs et ses habitudes, toutes du passé, sont complètement distinctes de ses ambitions, qui sont toujours du présent. Qui pourrait dire à chaque époque ce que cet amour de la coutume a empêché de révolutions intérieures ? Ainsi l’Angleterre, protégée chez elle par son passé, réserve pour l’extérieur toute son énergie ; les ambitions de son peuple, matées par la coutume et l’habitude, vont chercher au-delà des mers une proie à dévorer. L’Angleterre doit à l’amour de son histoire, à ce qu’on peut appeler la sûreté et la fidélité de ses souvenirs, sa marine, son commerce, ses colonisations, sa diplomatie ; elle doit encore à cet amour du passé son gouvernement, qui pourtant est le plus moderne de tous, le régime constitutionnel. Et de même qu’il protége son repos, ce culte des souvenirs lui inspire un immense orgueil, et, en lui représentant sans cesse sous les yeux ses anciennes actions, en lui montrant sans cesse sa longévité, il lui donne un audacieux sentiment de son avenir et l’assure presque de son éternité : la source de l’orgueil anglais est là, et non ailleurs.

Nous avons reconnu que le caractère anglais est le plus original des temps modernes, celui où se font le moins sentir les influences étrangères ; qu’il est sans unité, plein de contrastes, et que la volonté y domine ; enfin que son culte du passé est en même temps un gage de sécurité à l’intérieur et de grandeur à l’extérieur. Originalité, liberté,