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habitude, telle est la formule magique qui révèle tout le secret de la grandeur anglaise. De là nous tirerons deux conclusions qui nous montreront le rôle assigné à la race anglo-saxonne et sa destination providentielle : — Jamais race n’a autant été fidèle à elle-même ; elle nous offre le modèle d’une civilisation originale ; — jamais peuple n’a été fait autant pour la liberté et moins pour l’unité.

Historiquement, l’Angleterre a offert au monde un grand spectacle, elle a eu une enviable et originale destinée. Il lui a été donné de développer tous les germes de civilisation que contenaient en elles les races barbares du Nord, de les développer exclusivement, afin de présenter au monde le type pur et sans mélange de cette civilisation. Protégée par ses remparts maritimes, séparée du reste du monde, selon l’expression du poète latin, elle n’a pas été contrariée dans son développement par les influences contraires qui ont modifié et altéré le caractère des races du continent, et surtout des races germaniques. .Sur le continent, l’influence romaine s’est imposée aux races qui n’étaient point faites pour elle ; l’empire survivant à la chute de l’empire, la pensée et l’ame de Jules César survivant à la ruine des institutions du monde antique ont maintenu la tradition et arrêté l’éclosion de civilisations futures, en empêchant une trop complète barbarie, en faisant tout d’abord de la barbarie une semi-civilisation. Les forces expansives des peuples barbares ont été contenues par cette grande machine du gouvernement impérial et romain, imposée par la conquête, par la religion, par la politique, restaurée par Charlemagne, maintenue par le saint-empire ; mais en Angleterre la barbarie n’a nullement été contrariée : pendant de longs siècles, elle a gardé toute sa force vierge ; elle a régné sans combat, elle a été plus rude, plus forte que partout ailleurs. Un moment, l’autorité a semblé vouloir s’y introduire avec la conquête normande ; mais à peine s’était-elle établie, que la barbarie primitive réclamait ses antiques droits, et de la main même des conquérans limitait l’autorité politique par la grande charte, et l’autorité spirituelle par le meurtre de Thomas Becket. Hérétique dès l’origine, cette île, la moins fertile en saints par opposition à la malheureuse Irlande, qui avait été surnommée l’île des saints, s’est sentie tout à coup saisie de transports violens et d’un fanatique enthousiasme, lorsque le protestantisme, cette forme du christianisme qui est la mieux appropriée aux instincts des races germaniques, a pénétré chez elle. Rien de ce qui était latin n’y a pu prendre racine : Ses grands génies politiques, poétiques, sont exclusivement saxons, Alfred, Élisabeth, Cromwell, Shakspeare, Milton. C’est pourquoi nous pouvons dire en toute assurance que l’Angleterre offre pure de tout mélange la civilisation qui était cachée au fond de la barbarie ; partout ailleurs elle a été incomplète, et n’a eu qu’une existence humble, contestée et combattue.