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Quelle est donc la marque particulière de cette civilisation saxonne ? C’est la liberté, c’est la diversité. Jamais peuple n’a cru davantage à cet axiome politique d’Aristote, que la société était composée non d’êtres semblables, mais d’individus différens. Ce qui domine dans cette civilisation, et notre observation s’applique ici à l’Amérique comme à l’Angleterre, c’est l’individu : les énergies individuelles vont chacune vers leur but particulier, sans s’inquiéter de savoir si elles rencontreront, au terme de leurs efforts, un but général et universel. De là deux effets contraires, deux sentimens et deux vertus qui sont la force et l’honneur de cette société : l’indépendance et la tolérance. Vastes ateliers d’expérimentations politiques, philosophiques, religieuses, les sociétés anglaise et américaine appliquent aux choses morales les règles de l’induction baconienne, les traitent scientifiquement, et ne pensent pas qu’il soit convenable de débattre autrement que par voie d’analyse, d’observation et de pratique minutieuse les matières qui concernent le gouvernement et la religion. Le gouvernement parlementaire, les associations, les meetings, les ligues et les sociétés publiques, orageuses académies, conviennent à de pareilles sociétés : c’est seulement chez elles que la confusion peut régner sans anarchie, et la diversité sans désordre. On voit comment, avec de pareils peuples, la tolérance est un complément nécessaire de la liberté, comment elle est plus qu’un grand sentiment et une grande vertu, comment elle est un.instinct aussi nécessaire à la vie que l’instinct de la conservation personnelle ; car, avec une pareille indépendance et une liberté aussi illimitée, une si grande diversité d’opinions et de doctrines, si la tolérance n’existait pas, des combats d’extermination devraient naturellement s’engager. Puissions-nous, nous qui cherchons la liberté unie à l’ordre, comprendre que la tolérance est l’unique préservatif des peuples libres, et qu’elle complète ce droit de liberté, apanage de l’individu, parce qu’elle est non-seulement le seul moyen de salut, mais le seul lien moral des peuples libres, à qui elle apprend le respect que l’homme doit toujours à l’homme !

L’Angleterre et l’Amérique ne se sont donc jamais occupées ni inquiétées de l’unité : jamais ces nations n’ont compris et ne comprendront ce que c’est que centralisation, autorité, organisation. L’Anglais ou l’Américain le plus révolutionnaire ne saurait comprendre ce que c’est que le jacobinisme ; l’Anglais ou l’Américain le plus conservateur ne saurait voir dans le gouvernement autre chose qu’une machine destinée à la sûreté générale, propre à prévenir les explosions et à protéger les droits individuels. Les sectes les : plus différentes vivent côte à côte, sans souci les unes des autres, tant qu’aucune d’elles n’essaie de vouloir dominer les autres : c’est là le sentiment qui, en Angleterre, le pays protestant par excellence, a fait reconnaître les