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de l’autorité et la passion de l’unité. Voilà pourquoi le gouvernement constitutionnel n’a pu prendre racine, parmi nous, pourquoi la démocratie y réussit si mal ; chaque classe prétend s’imposer aux autres et les absorber notre démocratie, qui s’appuie sur le droit de majorité, viole sous l’apparence d’équité générale, les droits de chaque classe particulière de la nation, aboutit à une unité confuse et n’est que jacobinisme et anarchie dictatoriale. Notre gouvernement constitutionnel, en repoussant l’aristocratie et en livrant exclusivement le pouvoir aux classes moyennes, pouvait bien être une quasi-démocratie, mais n’a jamais été le vrai gouvernement constitutionnel. Celui-ci n’a jamais existé en réalité qu’en Angleterre, et c’est la création politique la plus originale des temps modernes, la forme de gouvernement la plus récemment inventée, la plus conforme aux lois de l’histoire et la moins conforme aux lois de la logique abstraite.

Ainsi, dans les mœurs, dans le gouvernement, dans le caractère des races anglo-saxonnes, nous rencontrons partout l’acceptation des principes contraires, la diversité. Cette race, pourrait-on dire, en empruntant un mot au vocabulaire philosophique, a le génie du différent ; l’individualisme est sa loi en politique, en religion, dans les relations de la vie sociale. Cependant, à voir une telle activité, une telle énergie déployées dans tous les genres de travail humain, une telle ardeur de conquête, un tel amour de l’agrandissement, on se demande quel est le but suprême et providentiel auquel tendent tous ces efforts. Alors involontairement on se prend à songer, et l’on se dit que toutes ces conquêtes ne sont que des matériaux et des élémens de civilisation destinés à être mis en ordre, à être coordonnés et, harmonisés peut-être par une autre race, qui aura plus que la race anglo-saxonne le sentiment de l’unité. Quand on observe son histoire à l’aide d’une foi profonde dans la haute destination de l’espèce humaine et comme à l’éclat de la lumière providentielle, on s’aperçoit en effet que cette race semble avoir été jetée dans le monde pour y opérer un travail de défrichement et de débrouillement, pour y épuiser la barbarie. Les Anglais et les Américains sont par excellence les pionniers de la civilisation ; eux seuls avaient assez de volonté et d’obstination pour accomplir ce labeur rude et ingrat, et qui n’est devenu glorieux que par la persévérance, la longanimité, l’ardeur qu’ils y ont apportée, car ils ont les premiers modifié dans l’esprit des hommes l’idée qu’ils avaient de la gloire, et le monde qui jusqu’alors n’avait attaché l’épithète de glorieuses qu’aux batailles et aux massacres, l’a attachée, ou, pour mieux dire, transportée aux combats contre la matière, contre l’infertilité du sol, contre la barbarie de la nature. Partout où il existait un îlot sauvage, une terre insalubre, un point du monde dédaigné de toutes les nations, oublié sur les continens ou perdu au milieu des mers, un pays où les