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la liberté n’est pas un bienfait, c’est une nécessité attachée à notre nature morale, comme la corruption à notre nature corporelle ; c’est que la liberté est notre châtiment. Être libre est une nécessité imposée à l’homme ; c’est l’unique moyen que nous ayons d’accomplir notre destinée sur la terre, c’est un instrument qui nous a été donné pour accomplir notre devoir. La liberté n’est donc pas un bien ; elle peut fatalement nous entraîner vers le mal. Qui nous sauvera d’elle ? La foi. Étonnante doctrine que celle qui reconnaît que Dieu seul peut nous protéger contre la liberté, que nul autre que lui n’a le droit d’intervenir pour nous protéger contre elle, mais qui admet que, sans la foi, la liberté est une véritable malédiction ! Conçoit-on maintenant comment des peuples, animés naïvement par une croyance aussi terrible ont pu accomplir les prodigieux travaux qu’ils ont accomplis ? comment les colonies anglaises de l’Amérique ont pu croître et se développer à l’infini ? Ces pauvres puritains ne demandaient qu’à Dieu seul de les protéger contre eux-mêmes, et se croyaient obligés de travailler sans relâche pour accomplir leur destinée. — Laissez-moi, disaient-ils, courir la carrière que Dieu m’a imposée ; ne gênez point les desseins de Dieu ! — Quant à l’autre élément de la démocratie, l’élément humain ou l’association, il se retrouve également au fond des institutions américaines. La démocratie, à l’origine, y fut établie par l’association des familles, obligées de se protéger les unes les autres, d’unir leurs efforts et de se former en communes librement associées pour la défense de leurs intérêts. Qui ne voit combien cette association nécessaire et naturelle, née de la force nième des choses, est préférable aux froides et abstraites théories de contrat social sur lesquelles est fondée chez nous la démocratie ?

Comme le gouvernement constitutionnel et aussi bien que lui, la démocratie américaine est donc un gouvernement original, propre à la race anglo-saxonne. Elle a des vices, je le reconnais avec M. Halliburton ; mais quoi ! ses vices mêmes servent merveilleusement à sa grandeur. Si quelques esprits plus honnêtes que philosophiques pouvaient se récrier contre ses abus et douter des grandes destinées qui sont réservées à l’Amérique, nous les engagerions à réfléchir sur ce fait : c’est que l’Amérique peut accomplir impunément l’injustice sans qu’il lui en coûte rien. Les États-Unis s’accroissent et s’étendent par les moyens les plus injustes, par le vol à main armée, par le droit du plus fort ; et pourtant, quand ces nouvelles nous parviennent en Europe, qui de nous songe à s’étonner ? quelles récriminations se font entendre ? quelle flétrissure nos journaux et nos hommes d’état infligent-ils à tant de déloyauté et de rapacité ? Aucune. Quelques réflexions courtes et sommaires, le plus souvent une simple constatation et un simple enregistrement de ces faits, pas un éclair d’indignation, voilà ce qui