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par tout ce qu’il y a de plus intime dans la nature humaine. La race slave est contraire à la raison de l’existence de la race anglo-saxonne ; il arrivera certainement un jour ou, pour que l’une des deux puisse vivre, l’autre devra disparaître. La Russie nie toutes les croyances, toutes les institutions de l’Angleterre et de l’Amérique ; son caractère est la contre-partie du leur. À la place du courage moral, de l’individualité, règnent ici l’humilité, la soumission ; à la place de l’activité, l’inquiétude. Là l’empereur est plus que le chef, le roi, le guide de ses sujets : il est leur pontife suprême ; il est plus que leur pontife, il est leur dieu. C’est lui qui peut à son gré donner à ses peuples une volonté et la leur retirer, leur commander le travail ou les laisser dans l’oisiveté ; il peut à son gré disposer en leur faveur et des biens de ce monde et des biens du ciel. Sans lui, ses sujets seraient païens et idolâtres ; c’est par lui qu’ils sont chrétiens. C’est en lui qu’ils ont véritablement la vie, le mouvement et l’être. On dirait que le magnétisme, l’électricité, tous les fluides invisibles, sont le moyen par lequel l’empereur de Russie gouverne les races qui lui sont soumises ; rien n’échappe à sa vue, et, à quelque distance que ses sujets soient placés, en France, en Italie et dans les pays les plus lointains, il trouve moyen de leur communiquer ses volontés et de dicter les paroles que leur bouche prononce. Tous les voyageurs et tous les hommes qui ont vécu intimement avec des sujets russes dans les pays étrangers s’accordent à les dépeindre comme très français de mœurs et très voltairiens de langage ; mais que la Russie vienne à être mise en cause, aussitôt s’échappe un flot de religion grecque, de mysticisme, de respectueuse humilité, comme s’ils étaient en présence de leur tout-puissant empereur. Sans son empereur, le peuple russe est imitateur, prend facilement les mœurs européennes ; avec son empereur, il retrouve son originalité, son caractère propre. Il n’est rien que par cette étrange et magnétique autorité. On dirait, en vérité, que chaque matin il se passe entre l’empereur et ses peuples un bizarre dialogue ; les peuples prosternés s’écrient : « Père, donne-nous une ame ; n’as-tu rien à nous commander ? N’y a-t-il donc rien à faire de nous ? Donne-nous une ame, afin que nous puissions comprendre et exécuter tes commandemens. » Et alors le magique empereur leur insuffle un enthousiasme d’un instant, laisse pénétrer en eux une parcelle d’ame, une ombre d’esprit ; il leur infiltre une apparence de volonté, la volonté d’obéir, la volonté de la patience et de la soumission, puis il la leur retire en la leur promettant de nouveau pour les occasions prochaines ; il ménage pour l’heure des grands combats cette étincelle qu’il leur communique. Non moins hostile aux instincts de la race anglo-saxonne que l’autocratie russe, la religion grecque est encore plus opposée à sa foi individuelle ; il n’y a pas de croyances libres et fortes