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rattachant à un tout autre ordre d’idées, l’écrit de M. Ramée : L’Art et l’Archéologie au XIXe siècle : Achèvement de Saint-Ouen de Rouen. Après avoir tracé rapidement l’histoire archéologique de cette belle église depuis l’abbé Marc d’Argent, qui jeta les fondemens du chœur en 1218, l’auteur examine comment les architectes chargés de l’achèvement de la façade par la loi du 25 mars 1845 se sont acquittés de leur œuvre. La critique est des plus vives, et, pour la rendre plus pénétrante encore, M. Ramye a comparé ce qui a été fait de nos jours avec deux plans projetés au XVIe siècle. Le parallèle, il faut en convenir, n’est point flatteur pour l’art moderne, et, pour notre part, nous approuvons fort les conclusions générales de M. Ramée, à savoir que, lorsqu’il reste des parties très notables d’un édifice portant le cachet d’un grand style et d’une époque déterminée ; on ne les démolit pas pour les reconstruire à neuf dans un style tout différent ; que la fantaisie dans l’architecture archéologique n’est rien autre chose que du vandalisme, et qu’il vaut mieux laisser les monumens tels qu’ils sont que de les défigurer en les restaurant.

L’Histoire du Prieuré du Mont-aux-Malades-lez-Rouen, par M. l’abbé Langlois, rappelle de tous points l’ancienne école bénédictine. L’homme le plus éminent de cette école, Mabillon, souhaitait qu’il y eût dans chaque abbaye, dans chaque prieuré un religieux qui en écrivît l’histoire, non-seulement pour sauver les souvenirs qui intéressent la science du passé, mais aussi pour offrir aux âges modernes l’exemple des antiques vertus et des saints dévouemens : c’est pour obéir à ce précepte du maître que M. Langlois a pris la plume, et qu’il a écrit sous l’inspiration d’un double sentiment, le patriotisme et la piété. À défaut de talent, dit-il, le cœur l’a fait historien. Enfant il a joué sur les tombes des hôtes oubliés du Mont-aux-Malades ; prêtre, il s’est assis dans leurs stalles au chœur de leur église, et dans le vieux prieuré, devenu de nos jours une école ecclésiastique, il a évoqué la mémoire des morts pour offrir le tableau de leurs travaux au clergé qui a recueilli leur héritage. Tout en se plaçant à ce point de vue, M. Langlois n’a point pour cela circonscrit ses études aux limites de l’histoire ecclésiastique, et son livre contient beaucoup plus de choses que le titre ne semble le promettre. Dans une période de sept siècles, de 1120 jusqu’à qu’à notre temps même, il suit pas à pas les annales du prieuré, et il rencontre sur sa route plus d’un curieux épisode, entre autres celui qui se rattache à l’exil de Thomas Becket dans la Normandie et à la correspondance que le célèbre archevêque de Cantorbéry entretint avec les religieux du Mont-aux-Malades. Cette correspondance ; qui avait échappé jusqu’à présent à l’attention des érudits de la province elle-même, s’ajoute comme un document précieux à l’histoire de la lutte que saint Anselme ouvrit en Angleterre contre le pouvoir royal, lutte qui prépara peut-être plusieurs siècles à l’avance, dans la Grande-Bretagne, la rupture violente de la couronne et de l’église. Le chapitre consacré à la maladrerie qui était annexée au prieuré et les recherches sur la lèpre présentent, quoique le sujet n’ait rien de bien neuf, un côté intéressant, en ce sens que l’auteur, profondément pénétré du sentiment chrétien, a montré, d’une façon heureuse, comment, à côté de la terreur profonde qu’inspiraient les lépreux, il y avait, en même temps que la pitié, un sentiment très réel de vénération. On les respectait tout en les redoutant, comme on respectait Job, leur patron, dont l’image était dans toutes les maladreries, parce qu’on pensait