Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/1074

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette ville. M. Auber fait remonter l’origine de cette église au IIIe siècle, et, bien qu’il soit prudent de se défier de ces dates lointaines, on a tout lieu de croire cependant que cette appréciation est exacte, car, par des circonstances qu’il est difficile de déterminer, Poitiers forma de bonne heure une sorte d’oasis chrétienne au centre même du paganisme gallo-romain. Ce fut aux environs de cette ville, à Ligugé, que saint Martin fonda, le premier monastère des Gaules ; ce fut un évêque de Poitiers, saint Hilaire, surnommé par saint Jérôme le Rhône de l’éloquence latine, qui rendit la paix à la chrétienté, en arrêtant par la seule force de la doctrine les progrès de l’arianisme, hérésie redoutable qui enlevait à la foi nouvelle son caractère divin, parce qu’elle isolait le Dieu fait homme de l’unité trinitaire et coéternelle, et qu’elle conduisait au déisme pur, par un rationalisme barbare, ce monde à demi régénéré qui échappait à peine au matérialisme païen. Enfin ce fut à Poitiers, dans le monastère de Sainte-Radegonde, cet hôtel de Rambouillet des temps mérovingiens, que se réfugièrent comme dans un dernier asile tous les dieux de la poésie antique, et que la muse latine de la décadence mêla pour la dernière fois son chant aux hymnes de l’église triomphante. Il y a là, pour nos antiquités religieuses et notre histoire nationale, des souvenirs très attachans, et il est à regretter que M. l’abbé Auber n’ait point donné, comme introduction à la partie descriptive de son travail, une vue générale de ce qu’on pourrait appeler l’église poitevine des premiers siècles, considérée sous le rapport social, et intellectuel. Il en a bien, il est, vrai, touché quelque chose, mais sans développemens suffisans et en faisant toujours une trop large part aux détails architectoniques. Nous voudrions qu’on ne séparât point, comme on le fait trop souvent, l’histoire féodale, administrative et morale de l’histoire purement artistique, et que, toutes les fois que des documens originaux ont été conservés, on appliquât à ces documens la même méthode que M. Guérard au cartulaire de Notre-Dame de Paris. Quand l’âge et le style d’un monument sont déterminés d’une manière précise, il est à peu près inutile de répéter pour chaque partie la description daguerréotypée de toutes les chapelles, de toutes les colonnes, de toutes les nervures. En se perdant au milieu de tous ces détails, l’archéologie tombe à l’état d’inventaire ; elle s’occupe trop des pierres et pas assez des hommes ; elle devient un utile vademecum pour les architectes qui font du pastiche moyen-âge ; elle reste étrangère à ceux qui cherchent dans l’étude du passé l’intérêt et l’enseignement. Ces observations, du reste, s’adressent, non-seulement à M. l’abbé Auber, dont le livre contient des parties très estimables, mais encore à la plupart de ses collègues en archéologie sacrée, qui se montrent trop généralement disposés à décrire les monumens sans les expliquer. Il ne s’agit point en effet de dire que, sous les voussures d’un portail, on trouve telle ou telle figure ; il faut dire encore pourquoi cette figure se trouve là, à quel ordre d’idées elles se rattache et quel rapport elle exprime avec les mœurs du temps où elle a été exécutée. Nous ne pensons pas, comme M. l’abbé Auber, que toute la symbolique chrétienne se réduise à une exposition pure et simple de l’Ancien et du Nouveau Testament, et, pour s’en convaincre, il suffit de rapprocher l’ornementation figurée de nos églises des écrits des hagiographes, des traités allégoriques de morale connus sous le nom de bestiaires, des ouvrages ascétiques et même des romans et des fabliaux. Cette ornementation est une véritable encyclopédie,