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sans nombre se dressent à chaque pas devant les plus vaillans esprits, et ajournent le résultat espéré. Sans doute, il s’est accompli sur plus d’un point des transformations utiles ; la société allemande, quoiqu’on puisse dire, a plus gagné que perdu en 1848. Si la Prusse officielle incline à je ne sais tel illuminisme, l’Autriche, réveillée par des nécessités impérieuses, a opéré d’utiles réformes : la justice rendue indépendante, l’administration réorganisée, l’égalité de l’impôt établie avec force, ce ne sont pas là de médiocres présens ; Peut-on nier cependant que la constitution entière de l’Allemagne, que les rapports de la Prusse et de l’Autriche ne soient d’ici à long-temps d’insolubles problèmes, et que tout un pays, un pays plein de lumières et avide des droits de sa raison émancipée, ne souffre dans ce qu’il y a de plus vulnérable au monde ? M. de Radowitz n’a pas eu tort de le proclamer récemment : jamais l’Allemagne, même à la veille de son explosion de 1813, ne s’est sentie aussi douloureusement blessée comme nation. Au milieu des ambiguïtés de la situation générale, au milieu de tant d’incertitudes et de ténèbres, on ne saurait se dissimuler qu’il ne règne une morne tristesse partout où ne gronde pas une irritation mal contenue. Or, ce ne sont pas seulement les politiques qu’un tel spectacle doit tenir en éveil ; les hommes que le public veut bien admettre comme juges dans les travaux de I’esprit sont tenus d’y apporter une égale sollicitude. La situation présente de l’Allemagne est de celles qui imposent à la critique littéraire une activité plus efficace, qui l’investissent de cette bienfaisante autorité dont je parlais tout à l’heure. Ils sont fugitifs ou errans hors d’eux-mêmes, disait Fénelon à propos de ces vains esprits que les choses extérieures attirent et qui ne savent pas connaître Dieu, parce qu’ils ne savent pas regarder au fond de leur conscience : la même chose peut se dire des peuples allemands. Oui, ils sont fugitifs, ils sont errans hors de leur propre nature ; ils se sont donnés en proie au matérialisme, à l’athéisme, à ce qui leur est le plus contraire ; ils se sont reniés eux-mêmes. Et dans quelles circonstances a éclaté ce délire ? Au moment où ils auraient besoin de toutes leurs forces pour traverser ce détroit semé d’écueils qui conduit de l’ancien régime à une société plus juste. Comment donc se fait-il qu’une critique vigilante et élevée fasse défaut à un pays si riche en écrivains ? De quelle façon expliquer cette insouciance extraordinaire ? Dans le trouble de la conscience publique, sous la menace des entraînemens redoutables auxquels est exposé le génie allemand, comment aucun esprit ne se lève-t-il, je ne dis pas pour gouverner victorieusement les lettres et les conduire vers des régions plus sûres, je dis seulement pour rattacher le passé à l’avenir, pour empêcher le caractère national de se perdre dans la tourmente, pour sauver le trésor d’un grand peuple ?

On a publié depuis quelque temps un assez grand nombre de travaux consacrés à l’étude des traditions intellectuelles du pays de Schiller et de Goethe. C’est là un bon symptôme. Ce retour à un passé rempli d’enseignemens atteste déjà un mouvement sérieux dans les esprits et ouvre une direction qui ne demeurera pas stérile. Nous voudrions seulement que ces travaux fussent accomplis avec plus de suite, qu’ils fussent l’expression d’une pensée plus résolue et plus haute. Le dilettantisme littéraire, très digne d’excuse assurément dans les temps calmes et chez d’insouciantes natures, devient aux heures du péril un intolérable contre-sens. Nous avons espéré un instant trouver cette critique