Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/1109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des brouillards d’une pensée confuse et d’un style prétentieusement abstrait, voici en peu de mots sous quel aspect se présentent à lui les trois siècles si diversement glorieux dont nous avons reçu l’héritage. — « La révolution accomplie par Luther, dit l’auteur, a ouvert la voie de l’avenir ; tout ce qui n’a pas suivi cette voie est condamné sous le nom de romantisme. Il y avait au moyen-âge un dualisme terrible, une lutte sans trêve et sans issue, la lutte de l’esprit et de la matière, du ciel et de la terre, de la grace et de la nature, de Dieu et du diable. L’homme voyait là deux élémens destinés à rester éternellement ennemis, il maintenait comme invincible cette opposition qui faisait le tourment de son être. Le but de la raison moderne, ajoute M. Schmidt, c’est l’accord de ces deux antithèses, c’est l’union de la matière et de l’esprit ; l’hymen de la terre et des cieux. Le protestantisme a ouvert la route au bout de laquelle s’accomplira un jour cette réconciliation suprême. Le catholicisme, au contraire, en s’attachant à l’opposition des deux termes, a créé une sorte de romantisme inconnu jusque-là ; il a créé une littérature sceptique, frivole, sans profondeur, une poésie superficielle et fausse. Le protestantisme s’empare de ce monde idéal que le moyen entrevoyait de loin, il en fait don à l’ame, il le place au sein de la conscience : de là la grandeur morale et la vivante beauté de créations de ses poètes. Dans la doctrine catholique, ce monde idéal est toujours relégué sur des hauteurs inaccessibles ; c’est pourquoi les écrivains du midi de l’Europe sont toujours forcés de substituer la déclamation à la peinture d’un idéal qu’ils ne sauraient posséder, ou de se passer de cet idéal et de tomber dans une frivole indifférence, ou de le nier tout-à-fait et d’aboutir à l’athéisme, comme le XVIIIe siècle. » - Voilà, dans un bref et fidèle résumé, la thèse bizarre à laquelle, M. Julien Schmidt a consacré deux longs volumes. Cette théorie, réduite ici à son expression la plus simple, se produit, je dois le reconnaître, avec toute sorte de développemens, de subtilités, de distinguo, qui peuvent dissimuler au lecteur, qui ont dissimulé sans doute à l’écrivain lui-même la fausseté radicale et l’indigente maigreur de son système. J’ai relu ces pages plusieurs fois pour m’assurer que je ne me trompais pas, pour me convaincre que cette pauvre pensée était la pensée fondamentale de l’ouvrage, et qu’il n’y avait en réalité rien de plus sous le luxe barbare de ses pédantesques formules ; mais comment serait-il possible de se méprendre ? Quand l’auteur abandonne cette phraséologie scolastique avec laquelle il est si facile de paraître profond et de déguiser ce qu’on pense, quand il arrive aux faits et aux noms propres, cet antagonisme de l’inspiration protestante et de l’inspiration catholique explique pour lui l’histoire entière de la pensée humaine dans les trois derniers siècles et lui dicte tous ses jugemens. Que M. Julien Schmidt signale dans les drames de Shakspeare et dans les poèmes de Milton l’influence de la réforme, on peut souhaiter qu’il le fasse avec plus de simplicité, avec un sentiment plus vif de la beauté poétique, et qu’il renonce à la fastueuse gaucherie de la phrase hégélienne ; il faut reconnaître pourtant qu’il est dans le vrai. C’est la seconde partie de son tableau qui nous apporte des résultats vraiment inattendus : une fois arrivé aux littératures de la France, de l’Italie et de l’Espane, l’auteur accumule les unes sur les autres de surprenantes erreurs ; le fil qu’il croyait si sûr s’embrouille, et sa théorie, devenue indéchiffrable, n’en prend que des allures plus impérieuses, comme s’il voulait châtier avec colère la réalité rebelle