Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/1124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

péril. La France, disons tout, est un peu lasse d’aimer et lasse de haïr : on serait quelquefois tenté e croire que c’est épuisement, et l’on n’aperçoit pas sans une certaine amertume ce vide qui se fait dans le cœur d’un grand pays, c’est pourtant signe de maturité virile et non pas de décrépitude. La société est trop considérable et les fortunes, individuelles sont trop petites à côté de la sienne, pour qu’elle puisse encore facilement jouer sa destinée sur la tête d’un individu.

Voyez cependant le mouvement de la presse. Il est vrai qu’il a là des figures excentriques qui, trop habituées à s’adorer elles-mêmes et à poser en idoles pour charmer leur cénacle, perdent la conscience du monde réel, qui ne tirent plus alors que de leur sein, que de leurs caprices, de leurs vanités, de leurs rancunes, de leurs songeries, les oracles qu’elles débitent. Singulier effet de la manie d’importance, dès qu’elle prolonge outre mesure les satisfactions qu’elle s’octroie ! Ces diseurs d’oracles, qui n’ont pas tous commencé sans rire, finissent par devenir leurs propres dupes ; on devine qu’ils sont fascinés les premiers à l’aspect des trésors de science politique et sociale qu’ils se découvrent tous les jours. D’honneur, ils ne se croyaient pas si forts ! Ils s’enchantent à loisir de leur éloquence, de leurs doctrines, de leurs recettes, et ce n’est plus par l’effet produit sur le public qu’ils jugent de leur mérite, c’est par l’effet qu’ils se produisent à eux-mêmes. Le mérite va donc toujours croissant, et toujours aussi s’augmente cet écart malheureux du public et de ses prétendus organes. La presse, sauf de rares et saines exceptions, ne s’occupe guère de tâter le pouls du public et de s’instruire à le diriger en s’instruisant à le connaître. Elle ne pense qu’à le ravir, qu’à le surprendre, ou plutôt les héros de la presse, se surprenant et se ravissant eux-mêmes en tête-à-tête avec leur écritoire, multiplient les coups de théâtre pour le plus grand plaisir de leur imagination et pour le bénéfice de leur renommée, sans pouvoir désormais comprendre que le bruit qu’ils font n’est que du bruit. Les coups de théâtre s’exécutent plus aisément avec des questions de personnes qu’avec d’autres ; on conçoit maintenant le rôle exagéré qu’on leur attribue dans la presse, tandis qu’elles sont si réduites dans le pays. Joignez seulement à ces vanités colossales des écrivains en scène les intérêts égoïstes et les mesquines intrigues qui soufflent de la coulisse, et vous aurez le secret de la contradiction.

En fut-il jamais de plus frappante ? Sur quatre-vingt-cinq conseils-généraux qui représentent, comme nous l’expliquions la dernière fois, l’esprit le plus positif, le plus pratique, le plus intime de la France ; trois seulement rejettent la révision par un vote formel, — deux autres s’abstenant par des motifs spéciaux pour ne point troubler leur session. La révision, qui est ainsi l’objet de vœux presque unanimes, n’est pourtant pas en soi une question de personnes. On dirait plutôt avec raison que c’est une question abstraite. Il s’agit de modifier un ordre de choses, une organisation générale des pouvoirs dont on éprouve les vices sans être à même de s’en venger sur quelqu’un. Il ne s’agit pas du moins, dans l’état actuel de l’opinion, dans le premier stage où elle s’arrête, de prendre parti pour celui-ci, parti contre celui-là. Celui-ci et celui-là, si pressés qu’ils soient, attendront peut-être bien, pour planter leur bannière, qu’on leur ait un peu raffermi le terrain. Si persuadés même qu’ils puissent être l’un et l’autre des bons services dont ils sont capables, le