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l’autre des deux partis extrêmes qui dès-lors s’étaient trouvés en présence, prêts à engager une lutte dont l’issue, quelle qu’elle fut, ne pouvait être que déplorable pour les véritables amis des idées libérales.

Les jésuites exerçaient à Fribourg une influence d’autant plus prépondérante, que leur collège formait l’une des principales sources de la prospérité de la ville. C’était un fort bel établissement, qui comptait plusieurs centaines d’élèves et attirait un concours de visiteurs étrangers dont la ville se trouvait bien. L’expulsion décrétée par la diète portait donc atteinte aux intérêts matériels non moins qu’aux sentimens religieux du pays, et les libéraux eux-mêmes s’étaient prononcés contre une mesure dont ils ne prévoyaient que trop les conséquences funestes. Toutefois du sein de ce parti frappé désormais d’impuissance avait surgi une petite faction composée des esprits les plus rebelles au joug clérical, des têtes les plus exaltées en politique et des caractères les plus violens. C’est entre les mains de ceux-ci que la guerre du Sonderbund fit tomber le pouvoir ; ce sont eux qu’elle érigea en dictateurs du canton de Fribourg. Ils ne pouvaient songer à s’y maintenir autrement que par des mesures révolutionnaires, et c’est grace à ce régime que les radicaux sont encore les maîtres de Fribourg ; mais la moindre hésitation les perdrait aussitôt, et leur gouvernement n’est possible qu’à l’état de révolution permanente.

Cette situation extrême ne s’est que trop nettement révélée, lorsque quelques hommes du parti modéré se sont mis à la tête d’un mouvement tendant à obtenir par voie de pétition que le conseil fédéral fit exécuter à l’égard de Fribourg l’article du pacte qui exige que les constitutions cantonales soient soumises à la votation populaire. Le gouvernement fribourgeois se sentit comme frappé au cœur par cette manifestation si essentiellement démocratique, et, quoiqu’elle réunît les signatures de plus des trois quarts du corps électoral, conseil fédéral refusa d’y faire droit, dans la crainte d’amener un ébranlement qui aurait pu compromettre l’édifice radical tout entier. De nouvelles persécutions furent l’unique résultat que les pétitionnaires obtinrent, et le peuple fribourgeois a pu se convaincre que tout recours aux voies légales contre le despotisme de ses oppresseurs lui était formellement interdit ; mais un semblable régime ne présente aucune chance de stabilité, son existence est tout-à-fait factice déjà des tentatives de révolte l’ont menacé ; il ne durera qu’autant qu’il pourra compter sur une intervention fédérale en sa faveur.

Neuchâtel se trouve à peu près dans la même position que Fribourg, quoique avec un gouvernement de formes beaucoup moins brutales. Le parti radical, qui en 1848, profitant des circonstances extérieures, y a fait la révolution, se compose en majeure partie de Suisses d’autres cantons établis dans les villes industrielles de la Chaux-de-Fonds, du Locle, etc. Il a dû son triomphe principalement à la situation fausse que les traités de 1815 avaient faite au canton de Neuchâtel et à l’appui moral que lui ont prêté les partisans du régime purement républicain. Les vrais libéraux y sont plus nombreux qu’à Fribourg ; cependant l’incapacité du gouvernement radical les détache de plus en plus du régime actuel, et la majorité de la population paraît incliner vers un retour à l’ancien ordre de choses, où la principauté de Neuchâtel, tout en étant canton suisse, avait un gouverneur prussien. Cette circonstance pourrait bien amener des complications fâcheuses, à moins que la question si brusquement tranchée