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homme vraiment politique, pour peu qu’on ait son rang parmi les hommes d’état, fût-on cent fois absorbé par ces intrigues et ces passions qui rapetissent tout à la mesure d’un moment et d’une coterie, fût-on l’aveugle esclave de sa vanité ou de sa rancune, on est oblige de compter avec les grands états européens et de réfléchir sur leur attitude. Ou bien il faut dire qu’on ira jusqu’au bout, qu’on engagera la guerre de propagande et qu’on déchaînera partout l’insurrection sociale en consentant à la subir d’abord ou bien il ne faut pas, en troublant à plaisir l’apaisement intérieur, soulever au-delà de nos frontières des appréhensions contre lesquelles il serait ensuite trop malaisé de se défendre.

On voit en effet se resserrer de plus en plus le cercle de méfiance qui nous entoure ; il est de plus en plus incontestable que la vieille Europe se reforme contre nous. Les gouvernemens reviennent sans scrupule et sans feinte à leurs traditions de monarchie pure c’était la Prusse qui restaurait tout l’appareil arriéré de ses diètes provinciales en dépit de sa charte constitutionnelle de 1850 ; aujourd’hui, c’est l’Autriche qui parait rompre décidément avec sa constitution du 4 mars 1849. Derrière l’Autriche et la Prusse apparaît, dans une ombre, plus ou moins transparente, la haute direction du cabinet de Saint-Pétersbourg, qui pousse et qui surveille. La Russie s’accoutume au rôle que nos malheurs lui ont permis de s’attribuer ; elle s’est instituée gardienne suprême de la paix générale, comme nous en sommes pour ainsi dire les perturbateurs désignés ; elle exerce ainsi un protectorat auquel nous fournissons nous-mêmes son meilleur prétexte, et qui n’aurait plus de raison d’être avouable, s’il n’était pas contre nous - Contre l’anarchie et non pas contre la France, répondent ces cours jalouses, qui ne se sont pas crues assez vengées en 1815 ; mais ne nous y trompons pas, on ne demanderait pas mieux que de confondre les deux ensemble : C’est à nous de faire en sorte qu’on les distingue. De même aussi l’on proteste que l’on n’a pas la prétention d’intervenir par les armes dans nos mouvemens révolutionnaires et de recommencer en 1852 la guerre de 1792 : il n’y aura plus de manifeste de Brunswick ; on nous laissera nous dévorer. On veut seulement se préserver de la contagion en exterminant d’avance chez soi tous les élémens auxquels elle pourrait se communiquer, en fermant tous les accès où notre esprit, ce qu’il a de bon et ce qu’il a de mauvais, pourrait gagner du terrain, en supprimant les institutions de liberté pour supprimer les occasions du désordre. On veut nous, enfermer dans un blocus hermétique et s’adjuger des garanties matérielles de sécurité en se fortifiant de son mieux, en se retranchant devant nous sur toute la ligne du Rhin et des Alpes, en ayant bien à soi l’Allemagne secondaire, la Suisse et l’Italie. Encore une fois ne nous y trompons pas ; l’étouffement nous serait peut-être plus funeste que l’invasion !

Ce qu’il y a de sûr, c’est que les princes se concertent, et que les entrevues succèdent aux entrevues. Les visites qu’on a faites à Varsovie semblent avoir inauguré une ère de relations plus fréquentes et plus intimes. Pendant qu’à Francfort et à Copenhague les ministres prussiens se conforment toujours davantage aux instructions des ministres d’Autriche, le roi Frédéric-Guillaume et l’empereur François-Joseph échangent publiquement les sentimens les plus affectueux. Ils se sont trouvés au rendez-vous d’Ischl, et, selon les vieilles règles de courtoisie qui sont d’usage entre souverains, chacun des deux a réciproquement