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nationalités plus larges, créait de nouvelles distributions d’états, une langue religieusement gardée continuait souvent à servir de lien entre les membres dispersés d’une même race. Telle est l’intime parenté qui subsiste encore aujourd’hui entre le gallois d’Angleterre et le breton de France ; le paysan méridional et le paysan catalan n’ont point cessé non plus de parler presque la même langue, et ces phénomènes singuliers portent avec eux un grand sens historique et moral. Qu’on le remarque, c’est le peuple en particulier qui reste l’inviolable dépositaire de ces vieux idiomes comme de bien d’autres héritages du passé. Le peuple, que les théoriciens radicaux cherchent à précipiter vers les nouveautés, dont ils font un inaugurateur souverain de tous les progrès, — le peuple, en réalité, est le plus conservateur des élémens de la société, et, si on parvient à le surprendre un moment, c’est moins en lui vantant le progrès qu’en irritant en lui quelques-unes de ces mauvaises passions qui sont de toutes les civilisations et de toutes les époques. Laissé à lui-même, le peuple aime par nature ses traditions, ses vieilles coutumes, ses vieilles langues ; il a par essence la foi et le culte instinctif des souvenirs. Tout est disposé dans sa vie pour maintenir long-temps intacte l’originalité locale des mœurs, des idées et du langage, surtout quand cette originalité tient à une nationalité primitive et distincte. Peu de races, on le sait, ont autant que la race bretonne et la race méridionale cette force d’attachement au passé et cet amour des choses locales qui atteignent parfois à une rare et touchante poésie. Allez dans le pays de Galles ou dans la Bretagne française : vous y trouverez vivant le souvenir du roi Arthur, et les ballades populaires vous répéteront toutes les traditions nationales ; allez dans le midi de la France : vous entendrez pendant les nuits d’hiver, aux approches de Noël, des jeunes gens chanter, en allant quêter un peu de farine, une chanson qui a mille ans. Demandez-vous ensuite ce qu’ont duré les carmagnoles révolutionnaires ! — Les Bretons, — dit un chant précédemment recueilli par M. de La Ville marqué, — ont fait un berceau d’ivoire et d’or ; ils y ont mis le passé, — et le soir, sur la montagne, ils le balancent en pleurant au-dessus de leurs têtes, comme un père devenu fou qui berce son enfant mort depuis longtemps. Jasmin exprime autrement la fidélité du peuple méridional au passé et à sa langue. Cette langue que le grand politique dédaigne, c’est pour le peuple la langue du foyer, du travail, des besoins journaliers, des joies et des peines domestiques, celle qui est d’accord avec son ciel et qu’il a sucée avec le lait de sa mère ; elle ressemble aujourd’hui à un de ces arbres superbes abattus par les vents, dont les racines ont été mises à nu, et dont les branches reverdissent néanmoins encore chaque année pour recevoir les oiseaux qui viennent y chanter. Chacune de ces interprétations diverses, — l’une triste comme les grèves