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simple et rustique, au couronnement de son œuvre, à l’inauguration de son église au milieu de six évêques, de deux cents chanoines et d’une population émerveillée, subjuguée sans s’en rendre compte par les deux plus grandes forces morales unies en ce moment, — l’instinct religieux et la poésie.

Aller d’ovations en ovations, recevoir au passage des présens magnifiques, des couronnes, des coupes d’or, faire servir la poésie au soulagement de la misère humaine, à l’édification des églises, n’est-ce point la part de l’idéal, — et de l’idéal le plus rare, — faite aussi large que possible dans une vie ? Qu’on ne croie pas cependant que cet idéal dépasse la mesure, tourne à la chimère et chasse la réalité de l’existence du poète méridional. Un des traits de l’originalité de Jasmin, c’est de faire marcher de compagnie l’imagination et le bon sens. À côté du poète fêté, couronné et emporté à chaque instant dans la région idéale, on voit l’homme réel, pratique, conservant son ingénuité première, sa nette et franche nature, ses simples et régulières habitudes. Au sortir de ces ovations brillantes dont il est l’objet, au milieu même de leur bruit enivrant, se retrouve ce sage dont je parlais, qui, s’il goûte un plaisir indicible à faire admettre sa muse dans le palais, ne se sent, quant à lui, jamais à l’étroit dans son foyer,-le sage heureux et sans envie qui aime sa maison, sa boutique, son coin de terre, et les a toujours présens à l’esprit et au cœur. Il y a dans Jasmin l’homme qui, recevant d’une ville un cachet d’or avec des armoiries emblématiques, se souvenait au même instant qu’il s’était servi bien souvent, comme cachet, du dé de son père, tailleur de profession, et disait dans sa chanson : « … Ah ! si, gâté par ce glorieux qui trop brille, comme lui j’allais dire que j’ai pour berceau un palais, fais voir alors mes armes de famille, reviens au jour, vieux dé de mon père » Il y a l’homme que tout le Midi se dispute et l’homme de la vigne, de cette vigne chantée par le poète en vers d’un sentiment exquis :


« Oh ! ma jeune vigne, — le soleil te chauffe de l’oeil, — donne-moi de tout ! — Aussi, quand il bruine, — ne perds aucune goutte. — Mon feu s’assoupit, — ma muse se fatigue, — mes amis demain — pourraient m’échapper. — Mais toi, jeune amie, — vigne au fruit savoureux, — avec ta fleur-figue — et tes bons raisins, — attache-les-moi ! — Récolte abondante, — ainsi tu me vaudras ; — récolte ne vaut pas — serrement de mains… »


Comme pour mieux donner un caractère de réalité à sa Vigne, Jasmin l’a appelée la Papillote. Allez à Agen ; vous le trouverez là, à coup sûr, heureux et naïf comme un enfant, comptant ses ceps, les arrosant et triomphant de les voir plus fougueux, plus beaux, plus chargés de fruits que ceux du voisin, comme il triomphe quand il est parvenu à procurer une bonne recette aux pauvres. — Telle est la vie de Jasmin, telle est cette facile et heureuse existence qui se reflète dans