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— C’est moi.

— Qui vous ? répondit, la voix.

— Cristino Vergara.

Nous entendîmes la porte s’ouvrir enfin, et un homme d’une figure non moins farouche que celle du Chilien se montra sur le seuil. Cet homme, de haute taille, était maigre, nerveux et souple comme une de ces fortes lianes que la hache peut à peine entamer ; dans sa figure basanée, dans ses traits mobiles, on lisait un singulier mélange d’audace et de placidité railleuse. En vrai chasseur mexicain, toujours prêt à quitter sa couche de gazon pour suivre la piste d’un cerf ou d’un jaguar, l’habitant de la cabane dormait revêtu de son costume complet de cuir fauve, qui se composait d’une veste et d’un pantalon étroitement serré aux hanches. Il resta un moment immobile sur le seuil de sa hutte, et promena sur chacun de nous un regard interrogateur. Il semblait attendre nos questions : ce fut Vergara qui le premier rompit le silence.

— Saturnino est-il au Palmar ? demanda le gaucho.

— Il doit y être ; mais pourquoi cette demande ? le fils de Vallejo paraît-il de trop dans ce monde à Cristino Vergara ?

— Oui.

Cette laconique et terrible réponse ne parut pas surprendre Berrendo.

— Eh bien ! à la garde de Dieu ! reprit-il. La nuit sera bonne pour vous, Cristino. Peut-être demain aurez-vous pris au piège deux ennemis au lieu d’un.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous vous rappelez un officier espagnol qui fut votre prisonnier, et qui se nommait Villa-Señor ? reprit Berrendo.

Castaños et le Chilien échangèrent un regard d’intelligence.

— Oui, répondit Vergara ; eh bien ?

— J’étais, il y a une heure, à la Laguna de la Cruz, dit Berrendo, je guettais la venue d’un cerf que j’avais déjà vainement poursuivi, quand un cavalier s’approcha de l’étang pour faire boire son cheval. Je jugeai à propos d’observer cet homme avant de me montrer, et je vis le cavalier pousser sa mouture dans l’étang, puis l’arrêter à quelques pas du bord. Il ôta son chapeau de paille, comme pour aspirer plus à l’aise les fraîches émanations du lac, et c’est alors que je reconnus, malgré son épaisse chevelure blanche, ce damné Espagnol dont les traits ne sortiront jamais de ma mémoire. Mon premier mouvement à cette vue fut d’armer ma carabine.

— Votre premier mouvement était bon, caramba ; quel a été le second ?

— J’ai réfléchi que le cavalier n’était peut-être pas seul, et que le bruit d’un coup de feu pouvait attirer ses compagnons. J’ai eu recours alors à un moyen qui m’a toujours réussi quand je veux traquer un ennemi sans brûler de la poudre.