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nous quittâmes enfin le couvert des bois pour gagner les collines au sommet desquelles j’espérais découvrir la ville elle-même.

Il y a environ aujourd’hui trois cent trente-huit ans que, de Mexico déjà conquis, Fernand Cortez se mit en route pour l’occident de la Nouvelle-Espagne. Après une longue et pénible marche, il arriva au coucher du soleil sur le sommet d’une chaîne de collines arides. Là, le spectacle qui frappa ses yeux lui arracha un cri d’admiration : c’était une échappée du golfe de Californie, teinte de la pourpre du soleil couchant. Il appela ce golfe la Mer Vermeille, et on l’a nommé aussi depuis la Mer de Cortez. C’était au sommet de cette même colline, où s’était arrêté le conquérant du Mexique, que, ravi du même spectacle, j’arrêtai mon cheval à côté de celui du capitaine Castaños. L’heure seule était différente ; le soleil encore peu élevé ne semblait pas incendier les eaux du golfe comme lorsqu’il s’y plonge le soir. Au moment où je contemplais la baie de San-Blas, Cortez l’eût appelée la mer d’azur.

Si imposant que fût ce spectacle, mon attention en fut pourtant bientôt détournée : un lourd chariot chargé d’ustensiles de ménage et traîné par deux bœufs suivait lentement la route qui serpentait au pied des collines. Un homme et quatre femmes suivaient à pied, et je distinguai dans ce groupe l’élégante silhouette de Fleur-de-Liane ainsi que celle de Saturnino : c’étaient les deux familles émigrantes en marche vers le nord, tandis que j’allais tourner à l’ouest. Le capitaine échangea de loin un salut avec Fleur-de-Liane. Un détour du chemin nous cacha bientôt les voyageurs, et je reportai mes regards vers la baie de San-Blas, en faisant des vœux pour le bonheur de ces deux créatures dont j’avais un moment partagé les plus intimes douleurs : le spectacle que j’avais sous les yeux n’éveillait que des impressions de paix et d’espoir. La baie de San-Blas, à mesure que le soleil montait à l’horizon, nous apparaissait de plus en plus radieuse. Les îles verdoyantes, éparpillées sur les flots de la Mer du Sud, ressemblaient a ces massifs fleuris que les fleuves d’Amérique arrachent parfois à leurs rives et charrient dans leur cours. Des voiles blanches se détachaient à l’horizon, comme des ailes de mouettes, et, dans les grands rochers fauves qui se dressaient au-dessus des vagues, je croyais voir autant d’aiguilles gigantesques jetées là pour marquer les heures solaires sur cet immense cadran d’azur.


GABRIEL FERRY.