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cette ingénieuse comédie, gravée depuis long-temps dans toutes les mémoires. Toutefois, sans m’engager dans les détails de l’analyse, je crois utile de caractériser en quelques mots les trois personnages principaux de cette vive création, car c’est dans la nature même de ces trois personnages qu’il faut chercher la raison de l’accueil fait aux Caprices de Marianne par l’auditoire du Théâtre-Français. Le public en effet a témoigné le premier jour quelque hésitation avant d’approuver l’œuvre soumise à son jugement, quoique cette œuvre fût comme depuis long-temps par la lecture. Que signifie cette hésitation ? Est-ce malveillance on inintelligence ? Le public a prouvé depuis trois ans par ses applaudissemens en quelle estime il tient le talent de M. de Musset nous sommes donc forcé de chercher ailleurs les motifs de son hésitation. Les personnages mis en action dans cette ingénieuse comédie se réduisent à trois Coelio, Octave et Marianne, car le juge Claudio et Tibia, son confident, ne remplissent qu’un rôle purement passif. Quant à Hermia, mère de Coelio, elle ne paraît qu’un instant et ne prend pas part à la marche de la pièce. Or, les trois personnages que je viens de nommer, très vrais en eux-mêmes, dont l’originalité ne peut être contestée par le lecteur, c’est-à-dire par un esprit attentif et qui a tout loisir pour peser la valeur et la portée des pensées qui lui sont offertes, doivent nécessairement étonner l’auditeur, qui n’a pas le temps d’analyser ses impressions avant de prononcer son jugement. Les sentimens qui animent ces trois personnages sont finement observés et fidèlement rendus, je le reconnais volontiers ; mais ces sentimens, pour être acceptés d’emblée au théâtre, auraient besoin d’être préparés, et c’est pour avoir négligé cette condition que M. de Musset a trouvé le premier jour dans son auditoire une hésitation voisine de la défiance. Deux jours plus tard, la réflexion avait porté ses fruits, et les applaudissemens n’ont pas manqué à l’auteur. La vérité des sentimens, discutée d’abord par ceux qui entendaient l’œuvre pour la première fois, était mise hors de cause : il ne s’agissait plus que de juger la manière dont le poète les avait mis en œuvre, et, tout en reconnaissant que plus d’une fois il a franchi à pieds joints les difficultés qui se présentaient, au lieu de s’arrêter à les résoudre, chacun a rendu justice à la grace, à la vivacité, à l’énergie du dialogue.

J’ai entendu des esprits très sincères, et d’ailleurs très éclairés, demander pourquoi cette pièce s’appelle les Caprices de Marianne. Cette question, qui pourra sembler saugrenue aux partisans exclusifs de la fantaisie, n’est pourtant pas dépourvue de bon sens. Il est certain en effet que les caprices de Marianne se réduisent à un seul caprice. Qu’elle n’aime pas son mari, c’est une chose toute simple et qui ne mérite pas le nom de caprice, car le juge Claudio est vieux et laid, et la jeunesse unie à l’âge mûr offre bien rarement des chances de bonheur et de paix. Je vais plus loin : je suis disposé à juger sévèrement les jeunes filles qui font mine d’être passionnées pour les cheveux blancs ; c’est à mes yeux un mensonge digne de mépris, un mensonge qui ne peut abuser que les esprits candides. Aussi ne m’étonné-je pas de l’aversion de Marianne pour Claudio ; mais pourquoi Marianne refuse-t-elle d’entendre Coelio ? Pourquoi ferme-t-elle son oreille aux paroles inspirées par un amour sincère ? Pourquoi accueille-t-elle avec dédain l’expression d’une passion profonde qui devrait l’étonner sans la blesser ? C’est que Coelio manque de hardiesse et