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pièces de canon dont plusieurs furent montées aux étages supérieurs. La place et les bâtimens embossés sous le brise-lame leur ripostaient avec une égale vivacité. Les Vendéens dirigèrent une attaque furieuse contre la porte de fer qui du côté de l’isthme ferme le roc ; ils tentèrent dix fois de suite l’escalade des remparts et ne lâchèrent prise qu’après avoir laissé six cents des leurs sur le carreau. La garnison et la population luttaient à qui ferait mieux son devoir : les canonniers marins tiraient avec une justesse admirable ; les femmes leur apportaient des gargousses, distribuaient des cartouches aux soldats ; plusieurs tombèrent sous les balles des Vendéens, sans que l’ardeur de leurs compagnes en fût un instant ralentie ; les canonniers tués sur leurs pièces étaient immédiatement remplacés. On s’attendait à voir paraître à l’horizon les voiles anglaises, et la force de la position prise par l’ennemi mettait à chaque instant en évidence l’impossibilité de sauver la ville par des moyens ordinaires. Une seule chance restait : c’était de brûler le faubourg occupé par les Vendéens. À une heure du matin, on se mit à y jeter des obus et à le battre à boulets rouges ; ces moyens ne suffisant pas, l’adjudant-général Vachot sortit avec un détachement armé et douze hommes portant chacun un fagot et une torche ; il s’avança sous le feu de la mousqueterie de l’ennemi, et en quelques instans tout le faubourg fut en feu ; mais bientôt le vent tourna de l’ouest à l’est, et dans sa violence il emportait des flammèches jusque sur les maisons de la ville : celle-ci périssait sans le courage et l’intelligence avec lesquels les femmes couraient partout où l’incendie se manifestait. Les canonniers granvillais criblaient eux-mêmes de leurs boulets leurs maisons enflammées ; les Vendéens, chassés de leurs réduits, se ruaient sur le rempart et tentaient encore, à ces lueurs sinistres, de l’escalader, mais la bravoure des assiégés pourvut à tout. Ainsi se passa cette nuit de sang et de flammes. Les premières lueurs du jour montrèrent par quel immense glacis la canonnade et l’incendie avaient remplacé le faubourg : le roc désormais ne pouvait plus être attaqué qu’à découvert. Assiégés et assaillans comprirent qu’en cet état il était imprenable. Les Vendéens commencèrent donc sans hésitation leur mouvement de retraite, et, après vingt-huit heures de combat, la garnison put pousser au dehors des reconnaissances : les ruines du faubourg, jonchées de cadavres à demi consumés, brûlaient silencieusement, et une traînée de morts marquait jusqu’au Calvaire la route des assiégeans[1]. Cette journée coûta 3,000 hommes à la Vendée. Quant aux Anglais, comme ils s’étaient réservé de n’intervenir activement qu’en cas de succès de leurs alliés, ils furent dispensés de se déranger.

  1. Détail du siège de Granville, par le capitaine Métoyen, adjudant de la place. (Mss. Brumaire an II.)- Mémoire de l’adjudant Levicaire, chef du génie à Granville. (Mss. an II.)