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son père, sa mère et deux de ses frères. Un frère et une sœur étaient les seuls membres de sa famille qui survécussent.

Le décès de ses parens l’avait mis en possession de la terre de Grateloup, domaine de sa famille maternelle, situé à une lieue et demie de Bergerac. Cette terre isolée fut l’asile où M. de Biran passa les lugubres années qui couvrirent la France de crimes, de sang et de deuil. Triste et découragé comme un jeune homme sans vocation pour le présent et sans espoir prochain pour l’avenir, il avait encore le cœur oppressé par les malheurs qui affligeaient ou menaçaient sa patrie. Le récit des attentats révolutionnaires venait, dans sa solitude, remplir son ame d’une douloureuse terreur. Sa position et son caractère lui interdisant également de prendre un rôle actif dans un drame aussi terrible, il éprouvait le besoin de se mettre à l’écart et d’oublier autant que possible des calamités pour le soulagement desquelles il ne pouvait rien entreprendre. Il se remit à l’étude « avec une sorte de fureur, » c’est ainsi qu’il s’exprime, et ce fut alors que, pour citer encore ses propres expressions, « il passa d’un saut de la frivolité à la philosophie. » L’étude ne trompa point son attente. Le travail du cabinet, joint à une vie paisible, dans un contact journalier avec les sereines beautés de la nature, lui procura un calme aussi grand qu’il pouvait l’espérer en des jours pareils. « Dans les circonstances actuelles, écrit-il à un ami, et vu ma manière de penser, la vie que j’ai adoptée est la seule qui puisse me convenir. Isolé du monde, loin des hommes si méchans, cultivant quelques talens que j’aime, moins à portée que partout ailleurs d’être témoin des désordres qui bouleversent notre malheureuse patrie, je ne désire rien autre chose que de pouvoir vivre ignoré dans ma solitude. »

Ce désir fut satisfait dans les limites du possible. Il est vrai que dans toute l’étendue du pays il n’existait alors aucun refuge assuré contre la soif du sang et du pillage ; mais le Périgord était une province relativement paisible, et la vie retirée de M. de Biran, la douceur de son caractère, la modicité de sa fortune surtout, lui valurent de n’être pas troublé dans sa retraite. Il ne put cependant pas se dérober entièrement aux inquiétudes universelles. Tantôt il craint d’être obligé de fermer ses livres et d’abandonner sa retraite pour aller à la frontière grossir les rangs des armées de la révolution, tantôt il aperçoit dans les populations qui l’entourent des symptômes de sinistre augure, et des craintes pour sa sûreté personnelle viennent se joindre dans son cœur agité à la douleur du deuil public. Les impressions qu’il reçut à cette époque exercèrent une influence décisive sur la ligne politique qu’il devait adopter plus tard.

Il est deux manières de juger les événemens : on peut ou les envisager dans leurs conséquences, ou fixer son attention sur leur nature,