Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les idées fondamentales du mémoire sur la Décomposition de la pensés, remaniées dans une rédaction nouvelle, devinrent la base d’un mémoire sur la Perception immédiate, qui obtint en 1807 un accessit accompagné de la mention la plus honorable à un concours ouvert par l’académie de Berlin. Ces mêmes idées, développées dans quelques-unes de leurs applications spéciales, fournirent un mémoire sur les Rapports du physique et du moral de l’homme, qui remporta, en 1811, un prix proposé par l’académie de Copenhague.

Maine de Biran était exempt à un degré fort rare des séductions de la vanité littéraire. Il était trop bien en face de lui-même, lorsqu’il scrutait les secrets de notre nature, pour admettre en tiers dans ses entretiens intimes la pensée des jugemens du public. Il est impossible cependant qu’il n’ait pas senti, et assez vivement, ce qu’il y avait de particulièrement flatteur dans ses succès répétés. Il avait été deux fois couronné par l’Institut de France pour des écrits de tendances opposées. Il remportait les suffrages du premier corps savant de l’Allemagne à une époque où ce pays, sous l’influence de Kant, était entré dans une voie qu’un abîme séparait de la culture intellectuelle de la France de Condillac. L’académie de Copenhague lui offrait enfin, comme les académies de Paris et de Berlin, un gage éclatant de son estime. Le suffrage commun de juges si divers ne pouvait donc s’expliquer ni par une faveur personnelle, ni par des sympathies d’avance acquises aux doctrines de l’écrivain ; le succès obtenu n’était, à aucun degré, un succès de complaisance. On ne pouvait pas non plus en faire honneur aux charmes dont une plume particulièrement éloquente aurait su revêtir des idées d’une médiocre valeur. C’était donc bien le fond de sa pensée qui valait à Maine de Biran l’approbation des philosophes français, et étrangers. Ce qu’on appréciait dans ses écrits, c’était bien ce qui en faisait le mérite à ses propres yeux : ses découvertes dans l’exploration de la nature humaine. Un penseur isolé qui voyait les méditations, filles de sa solitude, recevoir un semblable accueil dans les grands foyers de la culture scientifique de l’Europe, dut éprouver une vive et légitime satisfaction ; mais ce que Maine de Biran désirait trouver avant tout dans ses couronnes académiques, ce n’était pas un aliment pour son amour-propre, c’était la pensée que ses nouvelles théories contenaient une sérieuse part de vérité. L’approbation de tant de,juges compétens était bien de nature à accroître sa confiance dans les motifs qui l’avaient porté à rompre d’une manière éclatante avec l’école de Condillac. C’est de cette rupture qu’il convient de faire comprendre maintenant la nature et la portée.

Le dernier mot de l’école sensualiste se trouve dans la définition fameuse de Saint-Lambert : « L’homme est une masse organisée qui reçoit l’esprit de tout ce qui l’environne et de ses besoins. » Supprimez