Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’idée de se rallier de nouveau au régime qui semblait renaître ne paraît pas même avoir effleuré son esprit. Étranger désormais à des événemens sur lesquels il ne peut exercer d’influence, son seul désir est de s’enfermer dans sa solitude, de demander encore une fois à l’étude une diversion à sa profonde tristesse ; mais il tente en vain de détourner sa pensée des grands événemens qui viennent de s’accomplir. L’empire de Bonaparte relevé, c’est, à ses yeux, la révolution qui reprend son cours, la guerre du dehors, l’oppression et la souffrance à l’intérieur ; c’est enfin l’avilissement de la nation française qui, oubliant tant d’expériences récentes, se livre elle-même à son oppresseur. À ces pensées, l’indignation et le découragement se partagent son ame, et la lecture du Journal intime prouve que la préoccupation de la chose publique lutte victorieusement dans son esprit contre son désir de renouer en paix le fil de ses recherches métaphysiques.

Les événemens se pressent, la nouvelle de Waterloo arrache le philosophe à ses travaux à peine repris. « Le parti républicain s’agite en ce moment, écrit-il le 27 juin, personne n’a encore prononcé le nom de Louis XVIII et des Bourbons. La France semble dans la stupeur ; le cri national se fera-t-il bientôt entendre ? Vive le roi ! — Sans le roi légitime, point de salut. » Ses désirs furent exaucés. Le 20 juillet, il venait occuper de nouveau au Palais-Bourbon l’appartement du questeur, et en octobre 1816 il fut nommé conseiller d’état en service ordinaire, attaché à la section de l’intérieur.

Bien que songeant à la chambre et au conseil d’état, jamais, depuis 1813, M. de Biran n’apparaît sur le premier plan. Les succès oratoires lui étaient interdits autant par sa constitution physique que par ses dispositions intellectuelles, et il avait pour les affaires publiques une absence d’intérêt qui s’exprime dans cette formule souvent répétée « J’erre comme un somnambule dans le monde des affaires. » Les circonstances l’amenèrent à être un homme politique ; les liens de l’habitude l’enchaînèrent à cette carrière, mais jamais il ne la poursuivit avec une volonté réfléchie. Ce n’est pas à dire qu’il ne se laissât préoccuper et inquiéter par les émotions journalières nées de ces événemens auxquels il n’accordait pas un intérêt véritable. Si l’intérêt dans le calme est la condition du bonheur, c’était une position malheureuse que celle d’un homme qui s’agitait pour des choses qui, dans le fond, lui demeuraient indifférentes. Aussi Maine de Biran s’afflige de cet entraînement qu’il subit sans y consentir : l’habitude l’emporte ; les impressions du moment étouffent tous les désirs antérieurs ; Maine de Biran est presque aussi préoccupé de sa réélection qu’un ambitieux pourrait l’être. Ce désaccord pénible entre le genre de vie qu’il s’imposait lui-même, et cependant malgré lui, et la vie à laquelle il se savait réellement propre, redouble lorsque les préoccupations deviennent