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fallait rompre les chaînes dont la vie sociale le chargeait ; sa volonté a manqué d’énergie lorsqu’il a fallu régler sa vie dans la retraite. Les jours passent, les années fuient, tout ce qui l’environne est en proie à une mobilité continuelle ; son état intérieur varie incessamment, et il n’a pas encore trouvé le repos, il n’a pas rencontré le terrain solide sur lequel il pourrait jeter l’ancre. « Où trouver quelque chose qui reste le même, soit au dehors, soit au dedans de nous ? Au dedans, le temps emporte dans son cours rapide toutes nos affections les plus douces. Les sentimens et les idées qui animaient notre vie intellectuelle et morale s’effacent et disparaissent. Les objets changent aussi pendant que nous changeons, et, fussent-ils toujours les mêmes, nous cessons bientôt de trouver en eux ce qui peut remplir notre ame et nous assurer une constante satisfaction. Quel sera donc le point d’appui fixe de notre existence ? Où rattacher la pensée pour qu’elle puisse se retrouver, se fortifier, se complaire ou s’approuver dans quelle chose que ce soit[1] ? »

À cette question, posée de nouveau et avec toute l’autorité d’une expérience triste et prolongée, l’auteur répond par la pensée sainte que les secousses politiques avaient pour la première fois fait jaillir de son ame avec une certaine énergie, par la pensée de Dieu ! Le repos, le mobile constant, la base fixe de l’existence, on ne les trouve pas dans le monde : c’est en Dieu seul qu’il faut les chercher. Dieu, seul être immuable, est aussi le seul qui puisse offrir un but constant, le seul auprès duquel se trouve un repos assuré. Cette pensée pouvait sembler en 1815, au milieu des convulsions politiques, le simple résultat de cet instinct qui fait agenouiller le matelot au sein de la tempête ; mais, à mesure que le temps avance, on voit le désir de la vie divine grandir et se fortifier chez Maine de Biran. Le besoin d’appui qu’il éprouvait, besoin dans le principe vague et sans but déterminé, devient d’une manière toujours plus précise le besoin, ou, pour parler avec le psalmiste, la soif de Dieu. C’est en 1818 que cette crise se prononce décidément et que les préoccupations religieuses deviennent dominantes. À dater de ce moment, on voit se multiplier les plaintes de Maine de Biran sur sa déchéance intellectuelle et morale. Le jugement qu’il porte sur lui-même devient plus sévère dans la même proportion que la pureté de son idéal augmente, et, par un contraste dont le secret n’échappera pas aux observateurs attentifs de notre nature morale, plus il s’élève, plus il a le sentiment de descendre.

Il est dans notre commune destinée, à nous tous qui traversons cette vie, d’arriver plus ou moins vite au sentiment de la vanité des choses d’ici-bas. Le besoin de l’infini, de l’éternel, le besoin de Dieu, pour

  1. Journal intime, 29 août 1819.