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de l’éternel et de l’infini, — en un mot de l’absolu ? La question est précise ; un mot suffit à la résoudre, et ce mot, M. de Biran l’a déjà prononcé. Les besoins de son ame ont devancé les nécessités de sa philosophie. Le Dieu qu’il a réclamé pour appui de sa vie morale lui apparaît encore comme la seule explication possible de ces idées, que n’expliquent ni l’homme ni le monde, — comme le principe de l’éternel et de l’infini.

Dieu est trouvé, mais quel Dieu ? Ce n’est pas seulement la force suprême, la raison éternelle qu’admettent en commun le panthéiste et le chrétien. Un philosophe aux yeux duquel la volonté avait été et continuait à être la condition même de l’intelligence, un philosophe qui tenait la liberté humaine pour la première donnée du sens intime et la plus certaine des vérités, ne pouvait placer sur le trône de l’univers une intelligence sans volonté, ou une force aveugle et fatale. Aussi Dieu est-il bien pour M. de Biran l’être personnel et libre duquel toutes choses dépendent ; son Dieu est un Dieu vivant, et il n’hésite pas à déclarer athées « ceux qui n’admettent pas la responsabilité de Dieu, alors même qu’ils attribuent la plus haute intelligence ou la pensée infinie à Dieu comme au grand tout[1]. » La pensée, la pensée éternelle et suprême est bien pour lui un des attributs de l’Etre des êtres ; mais ce n’est pas là, à ses yeux, la conception fondamentale. La volonté, la puissance, prennent rang avant l’idée.

Dieu introduit dans une théorie où il n’avait pas de place, ce n’est pas, on peut le comprendre, la simple addition d’un point de doctrine. M. de Biran n’abandonne pas ses vues antérieures ; mais la base même de la science est changée. Le monde et l’homme, dans leur action réciproque, ne sont plus désormais que des élémens subordonnés du problème philosophique. Nulle solution n’est complète, si elle ne remonte jusqu’à la source même de toute existence. Le vrai, le bien, le beau, tout ce qui élève la pensée, tout ce qui peut intéresser les ames repose dans le sein de la Divinité. Toute question finit par conduire à cette haute sphère ; l’œil ne peut suivre un des rayons qui descendent pour éclairer notre route ici-bas, sans remonter à la source éternelle de toute lumière.

Constater la nécessité de la pensée de Dieu pour la solution des problèmes philosophiques, telle était donc la vue nouvelle qui venait modifier profondément l’exposition des doctrines de M. Biran à la même époque où le besoin de Dieu se faisait sentir à son ame avec une vivacité particulière. De nouvelles perspectives se dévoilaient maintenant à sa pensée. Après avoir approfondi avec une sagacité laborieuse et patiente les faits de la nature humaine et les rapports du physique et du moral, il était en voie d’étendre l’horizon de ses recherches et d’embrasser,

  1. Journal intime, 1er mars 1821.