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dans un vaste système, les rapports de l’homme et du monde avec le Créateur. C’était aborder les problèmes agités par ces écoles célèbres dont il venait de prendre une connaissance un peu plus complète que par le passé ; c’était aussi abandonner l’observation directe et immédiate pour donner une plus haute importance à l’enchaînement logique des idées. Cette voie ne fut pas celle de M. de Biran. L’homme arrêta chez lui l’essor du logicien, et un instinct impérieux le retint comme enchaîné à ces faits du sens intime, constant objet de ses études. Entre toutes les questions nouvelles qui purent traverser son esprit, une seule le captiva, une question pratique, et qui était, avant tout pour lui, une question personnelle : — Quels étaient les rapports de son ame avec ce Dieu dont il venait de reconnaître la place souveraine ?

Savoir que Dieu pouvait seul lui prêter un appui qu’il avait appris à ne plus espérer du monde ne suffisait pas en effet. Cet appui, à quel titre et dans quel sens devait-il lui être accordé ? Dieu, auteur éternel de tout ordre et de tout bien, offrait à sa volonté un but immuable, élevé au-dessus de toutes les variations de la sensibilité, de tous les accidens de la fortune. Poursuivre ce but invariablement, c’était trouver cette base fixe si ardemment souhaitée, et par conséquent ce repos, objet de tant de désirs ; mais la volonté suffit-elle à cette tâche ? Dieu, qui l’a créée, s’est-il borné à lui donner une règle à suivre, et doit-elle, ne comptant que sur elle-même, suivre cette règle par son propre effort ? ou bien le Dieu notre créateur continue-t-il à être auprès de nous ? veut-il subvenir à notre faiblesse et nous communiquer une force que nous ne trouvons pas dans notre seule nature ? La vie est, dans tous les cas, une lutte ; mais est-ce avec notre propre force que nous devons soutenir le combat ou avec une force étrangère ? Que pouvons-nous seuls ? que devons-nous attendre de Dieu ? Telle est l’alternative qui se pose à la pensée de M. de Biran.

Cette question est celle du stoïcisme ou de l’Évangile, car la croyance en un Dieu personnel et créateur, lorsqu’on admet, du reste, que l’homme, une fois créé, ne doit s’appuyer que sur lui-même, ne modifie en rien dans son essence la morale du Portique. Ne compter que sur soi, c’est la doctrine des disciples de Zénon. Appeler la grace de Dieu, c’est l’espérance des chrétiens. Maine de Biran a une vue très nette de sa situation ; il sait que sa pensée oscille entre la plus noble école de l’antiquité et les promesses de Jésus-Christ. Nous l’avons vu, répudiant la triste morale du sensualisme, s’avancer vers les doctrines stoïciennes. La question était de savoir maintenant s’il en resterait à ce point de son développement, ou si les tendances chrétiennes prévaudraient définitivement dans son ame. Les deux élémens de la lutte qui s’établissait ainsi dans sa pensée lui étaient également connus. C’est à la lecture de Marc-Aurèle qu’il paraît avoir dû principalement sa connaissance du stoïcisme. L’esprit de cette école lui était au reste